Dans le cadre des 24e Rencontres photographiques du pays de Lorient (octobre-décembre 2021), consacrées au thème des « Dérives », le photographe brésilien d’origine japonaise Shinji Nagabe présentait une exposition-installation de son travail photographique intitulée Espinha. Les étudiant.e.s de la mention AVJ (2021-2022) livrent un regard personnel et inspiré sur cette exposition.
Les couleurs et les corps se succèdent. Comme une danse, un rituel, cela touche au sacré. Il y a une dentelle délicate posée sur un agrume coloré. Il y a des dos puis un arbre, grand, majestueux, sage. L’arbre est lié à l’Homme, il est à la fois un lieu de mise à mort mais aussi un refuge et un lieu de rite. C’est une connexion entre la terre (le réel), et le ciel (le divin). L’arbre, symbole de la nature, devient la colonne vertébrale de l’Homme, son Espinha. Puis, la tournure devient tragique : une couverture de survie recouvre les corps et étouffe les visages : la mort, sans nul doute. Des masques nous regardent ensuite, ils nous mettent en garde, tout ça est si fragile. Les couleurs et les corps se succèdent et la boucle reprend.
Etelle Le Moing
Des visages absents, des corps posés, presque figés dans le temps. Des minutes, des dizaines de minutes qui s’écoulent, qui durent, qui bercent. Difficile de savoir où donner de la tête quand les pensées sont embrouillées. Le corps lui est bien présent. Il est ancré dans des fauteuils, les pieds dans le sol. Mais cette position est néanmoins propice à la divagation. 127 degrés, la posture idéale pour aller dans l’espace, ou la position intuitive de l’ado devant la télé. On ne s’assied pas, on s’effondre, puis on se laisse dégouliner à l’oblique du dossier. Cette position permet de supprimer les tensions de la colonne vertébrale, tant au niveau des cervicales que des lombaires et de se libérer du poids de son corps. Une posture d’affalement parfaite pour réfléchir et contempler.
Contempler des figures spectrales, des personnages que l’on ne rencontre qu’en rêve et qui pourtant nous questionnent sur notre propre rapport au monde, sur notre histoire. Nos histoires sont nos origines, les origines sont des racines et les racines sont immenses. Elles se ramifient hors de notre vue, sous le sol. Elles appartiennent à un autre univers et elles font le tour du monde. Sans racine on s’envole, on ne touche plus terre, on cherche un ancrage.
Lisa Affortit
Propre aux agrumes, il était dans la clarté de l’eau. Elle se reflétait sur le dos du défunt, consciencieusement appliquée dans ses mains. Comme une star de radio locale, il rejoindra bientôt les racines. La présentation débutait seulement et elle étouffait déjà. C’était la célébration de son fils, elle avait peur que la milice l’emporte. Elles s’envolent, bannies de ce monde par les chasseurs. Tout le monde ne fonctionne plus, s’éteint puis recommence. On est au bord de la chute, face à nos droits et au monde visible. Les motifs se retrouvent un peu partout, toujours dans la même étrangeté. Tout se forme selon un procédé inconnu. Au fil des couleurs, c’est ce fonctionnement que l’on cherche à comprendre. On ne nous aide pas, là-haut. C’est l’esthétique d’un monde sans territoire, ou du moins dont le territoire a disparu avec le temps. Une sorte de trace de fourchette temporelle mise en scène, une fenêtre sur un monde parallèle.
Vincent Coquelet
Il parle fort, d’un ton sûr, assuré
Il marque les bonnes intonations au bon moment
Il sait qu’il doit donner une bonne allure à sa langue
Qu’importe le discours qu’il prononcera
Il doit à tout prix leur communiquer par le son
la force du caractère de son peuple
Pendant qu’Itapuka se tient fort et fier,
il apparaît au loin des figures, semblables à des fantômes
Elles avancent, prennent de plus en plus de place dans la salle
On ne sent plus qu’elles
Des sans-visages s’animent à tour de rôle dans une danse
chamanique, chorégraphie d’un autre monde ou autre monde
chorégraphie
Rahma Baradji
Sur et sous le napperon
Dérivons. Entreprenons un voyage de plus de 17 000 kilomètres. Allons entre l'or brillant de la migration, Le rouge sombre d'un développement, Le blanc pur en petits grains sous une fine dentelle. Posons nos fesses dans un entre-deux non identifié. Dérivons. Jusqu'au futur d'un gris métallique, Par-dessus le Pacifique. Rentrons chez les gens, par les entrées sans porte, Demandons-leurs s'ils veulent jouer A cache-cache. Dans les rues ensoleillées, A l'ombre d'une maison. Chercher qui l'on est sous les masques. Dérivons. Glissons par delà la réalité. Imaginons un itinéraire impossible. Fait de rythmes, Noirs Fait de flashs, Blancs Porté par le discours d'un roi. Dérivons. Mais non en colon. Retrouvons l'enfant Celui qui saute, Pour arrêter le temps. Et qui grandit sans avoir peur de Dériver. Ewen Gautier