Le 30 mai 2024, nous prenions un café « à la machine » de l’école des beaux-arts de Lorient, quand j’ai interrogé Julie Vanazzi sur son parcours et sa pratique artistique.
Après son Bac, Julie avait envie d’aller en « truc artistique », elle m’explique qu’après plusieurs concours et dossiers présentés dans Parcours Sup, elle a passé deux ans à l’école de Condé à Lyon.
Elle m’emmène fumer une clope devant l’école.
« Ouaiiii bah du coup tu connais quoi. Faire du graphisme en mode DNMADE quoi… Très technique et tout… après moi j’suis très contente d’avoir fait ça avant les beaux-arts parce que sinon j’pense que j’serais vraiment une merde techniquement ». Et je crois que je partage ce sentiment.
Elle m’explique la différence notable entre son expérience en art appliqué et celle en école d’art. « Ici on apprend quasiment en autodidacte », me dit-elle, et nous nous accordons sur l’idée que les formations en graphisme à niveau bac+3 (car j’en ai également suivie une) sont avant tout orientées vers l’apport de techniques et de savoir faire.
Elle ajoute : « c’est pour ça que j’suis allée aux beaux-arts, je me retrouvais pas dans juste de la technique mais j’me retrouve pas non plus dans juste de l’artistique », comprendre ici qu’elle cherche un équilibre entre l’apport technique et l’apport réflexif et théorique. Cet équilibre, elle le trouve dans la globalité de sa formation, entre sa première école et la seconde.
« Ensuite je suis arrivée ici en deuxième année, en com’. Et j’ai fait full trucs artistiques. Genre pièces artistiques machins ».
Pour comprendre les « pièces artistiques machins », je demande à Julie de me parler de sa démarche « artistique machin ». Elle m’explique d’abord que son travail de diplôme pour le DNA s’est inscrit dans une pratique réelle. C’est-à-dire qu’elle a produit des affiches et des banderoles dans le cadre de manifestations en interrogeant l’usage de la typographie. De ces productions elle a pu tirer un projet de diplôme. Son parti pris est de produire un art (bien qu’elle ne le définisse pas ainsi) “low-tech”, dans le sens où les moyens de production utilisés restent modestes et où l’on va à l’essentiel. Utilisation de la photocopieuse noir et blanc, du scanner, de formats standards comme le A4… Elle ôte tout ornement et pratique graphique “bourgeois” afin d’aller à l’essentiel de son message par l’image. À la bonne franquette quoi…
Elle ajoute : « Dans ma première école, j’ai grave appris la sérigraphie ». De fait, elle pense constamment ses pièces de manière à pouvoir les imprimer selon cette technique historique du graphisme modeste et militant. Cela induit une contrainte dans la création, j’en déduis que c’est son cadre en quelque sorte.
Elle en était à la moitié de sa cigarette quand je lui ai demandé d’où lui venait ce goût pour le graphisme militant, pourquoi produire des objets politiques ?
« Bah hmm j’pense ça vient de moi-même qui ai du mal avec l’autorité, avec le cadre… avec l’école ». Ce à quoi je réponds : « T’as besoin de le remettre en question ? », par sentiment d’injustice peut-être, ou d’incompréhension j’entends, là.
« Ouais et puis l’année dernière, vu que y’avait la réforme des retraites, bah j’ai passé tout mon diplôme là-dessus parce que du coup ce que je faisais pour le diplôme ça me servait vraiment dans la vie et je passais beaucoup de temps dans la rue à aller accrocher des trucs et tout ».
Est-ce que Julie se sert d’un système déjà en place et d’un cadre pour produire des objets tout en le remettant en question ? Produire une pièce qui questionne les règles en place pour passer un diplôme d’état ? Franchement, je n’y ai pensé qu’après cette discussion mais on aurait pu creuser la question… Où s’arrête la rébellion ? Où commence la soumission au cadre mais aussi l’intégration et l’intrusion dans un système pour mieux le saboter ?
Elle a presque fini sa cigarette lorsque j’enchaîne et lui demande de m’expliquer ce qu’elle a concrètement produit pour exprimer ses idées. « Très concrètement, sur le terrain, c’est plutôt des choses assez simples (rappelons-nous qu’elle va à l’essentiel : le message avant tout), genre l’année dernière notamment j’ai fait pas mal de travail de typo avec les banderoles, à faire des recherches de typo et de lettrage… » Mais alors pourquoi la typographie particulièrement ? Elle m’explique que le message prenant la forme d’un texte écrit à la main sur les banderoles, la question de la forme passe obligatoirement par la typographie et la lettrage.
Elle et Remi Fradin étaient, dans un contexte de manifestation, des référents dans les groupes en matière d’aspects visuels et de bonne cohérence graphique pour les objets produits.
Elle ajoute qu’elle a également produit des flyers, des affiches et des supports de communication passant par les réseaux sociaux comme Instagram dans le cadre des manifestations contre la réforme des retraites en 2023.
« Et après ton DNSEP tu as envie de faire quoi ? », clôture-je.
Elle m’a répondu qu’elle hésitait à poursuivre ses recherches actuelles sur la linguistique et l’usage langagier du français non-normé dans un second master 2 à l’université ou via un financement comme une bourse de recherche ou une résidence. « Sinon aller travailler… J’aimerais bien travailler dans des imprimeries, genre faire des travaux techniques… »
La fraise brûlait déjà le filtre de sa cigarette, elle l’écrasa et nous retournâmes en classe. Le gobelet vide.
Portrait de Julie Vanazzi, étudiante en cinquième année aux Beaux-Arts de Lorient en Art Visuel pour le journalisme en octobre 2024. Travail réalisé par Zoé Gibaud, également étudiante de cette promotion.