Dyslexique, dyscalculique, myope, « stressée de la vie » comme on me décrit parfois, plongée dans des romans de fantaisie durant une longue période, peu sociable et « froide », « hypersensible »… je ne saurais me définir sans tenir compte, me soucier et réfléchir à la justesse de tous les qualificatifs et paroles utilisés pour me présenter.
De cette pensée articulée/désarticulée s’est finalement dégagé, progressivement, une attirance pour, une envie d’explorer le corps en mouvement et les sensations qui le traversent.
J’ai très tôt envisagé la danse comme une échappatoire. Ayant peu de dispositions pour cette pratique, peu de souplesse, la danse classique puis la danse contemporaine m’ont tout de même accompagnée une dizaine d’années. Ma pratique s’est aussi doublée d’un intérêt pour son histoire et ses développements au XXe et XXIe siècles.
Durant mes années de lycée, la photographie m’a également captivée. J’avais le souci de saisir un instant décisif, un déséquilibre. L’image m’intéressait dans la mesure où elle permet de questionner la relation à l’autre, au corps, à la scène. Tout ceci résonnait, bouillonnait en moi sans prendre de direction particulière.
J’admire certaines figures de la danse contemporaine telles que Maguy Marin, Merce Cunningham, Kaori Ito. Pour leurs performances physiques, leurs idées, leurs créations, les mondes et ambiances dans lesquelles ils nous happent, les innovations, les questionnements concernant des codes et habitudes scéniques, les mœurs…
Comprendre la source du mouvement, percevoir les prémices de celui-ci, imaginer les sensations vécues par le corps, se laisser surprendre par les cœurs, la musique, les émotions, tout cela offre un cheminement sur lequel le spectateur n’a potentiellement aucune prise. C’est ce qui m’a plu. Devoir ensuite réaliser un compte rendu de ces spectacles, dans le cadre scolaire, m’a permis d’exprimer sans carcan des émotions et sentiments vécus, de parer ces derniers de différentes couleurs, d’inclure des comparaisons poétiques et de remonter le fil de mes pensées, me faisant revivre à chaque fois la pièce.
Ce souci de trouver le mot exprimant justement une suite d’idées me permettait de me sentir en quelque sorte « à la hauteur », moins handicapée, quand bien même les fautes existaient souvent. Similairement à cette question de faire, proprement, justement, j’avais le souci de rendre compte de quelque chose de beau, de net lors de la prise d’images.
Se rendre compte que le « beau » n’est pas la réponse unanime. Tout contrôler n’est pas une solution et l’on peut perdre des occasions, passer à côté d’une opportunité à vouloir aller dans la direction que l’on s’était fixée.
Laisser place au flou, contrôler tout de même et pourtant, pouvoir y lire bien davantage, deviner et découvrir de nouvelles formes.
L’importance du sport, la dépense énergétique, la forme physique : j’aime nager, être dans l’eau. Un sport individuel, aucun besoin de parler, d’être au contact de l’autre. Monde et voyage de sensations intérieures, ressentis lors des poussées contre le mur, de coulées, lorsque le geste est effectué plus dans l’os et non dans le muscle. Apaisement. Se recentrer sur soi. Pouvoir réfléchir et résoudre des soucis ayant sillonnés la journée. Sans lunettes de vues percevoir ces lignes floues, ces formes, ces autres corps. Frôler les lignes d’eau, ressentir davantage que voir.
J’aime nager parce que je ressens mon corps dans son entièreté, son poids, le résultat d’un changement de respiration, les muscles et articulations qui se détendent, permettent de s’allonger et glisser davantage. Sentir qu’à chacune des sollicitations le corps répond, souplement, facilement. Respirer de manière à espacer les inspirations. Faire descendre le rythme cardiaque. Lorsque l’on nage, on ne transpire pas comme lorsque l’on pratique la course à pied. Être pleinement présente à un endroit et laisser la mémoire kinesthésique à l’œuvre.
Cette sensation de lâcher prise se retrouve dans la pratique de l’improvisation et de l’improvisation structurée. Par la sensation du sol sous les pieds, la perception de l’espace, les courants d’air que l’on crée, le canal de réflexions s’amoindrit et les yeux fermés, le corps et sa mémoire propre, porté ou non par un rythme, une musique, évolue se parant de couleurs, poids et contrepoids essentiels et instinctifs, intuitifs.
L’importance de la présence, pour l’autre, être prête à aider. Jusqu’à ce que cela devienne extrêmement énervant parfois… Se substituer à l’ennui, échanger, égayer un moment dans la journée. Se sentir utile, au moins un peu.
Emma Salaun-Brugel