Dans le cadre des Itinéraires graphiques 2022, Thierry Van Hasselt a exposé un pan de son travail à la galerie de l’EESAB à Lorient. Le 12 octobre 2022, nous avons pu le rencontrer et échanger avec lui à propos de ce projet particulier et de bien d’autres choses encore.

Thierry Van Hasselt (TVH) – L’éclairage n’est pas encore fait. 
Administration – Non, il faudra quand même le faire avant vendredi parce que vendredi soir c’est l’inauguration et après on est samedi. 
TVH – Oui, c’est ça, ce serait pas mal de le faire demain. Qui va s’occuper de ça ? 
Administration – Ça va être Olivier, il faut voir avec lui. Si tu as envie, je peux lui demander juste après, je prends deux trois photos et je vais le voir. 
TVH- D’accord.
Administration – Comme ça… 
TVH- Si je peux être là aussi c’est bien.  
Administration – C’est surtout pour ça. 
TVH- Effectivement là c’est vraiment très sombre (bruits de pas).
TVH- Je pensais que c’était plus lourd que ça mais ça va encore…
 

Rémi Fradin (RF) – Comment ça, plus lourd ? 

TVH – J’avais l’impression que c’était encore plus massif et pesant, mais ça va encore (rire). 

RF – Oui, là tu as eu le temps de laisser reposer. 

TVH – Oui (rire).

RF – Tu as fait ça quand ? Tout ça ?

TVH – J’ai commencé, qu’est-ce que je dirais… il y a presque dix ans.  

RF – Dix ans… 

TVH – Je n’ai pas fait ça tout le temps, je fais ça un petit peu quand j’ai du temps.

TVH – Donc, c’est travaillé épisodiquement quoi. 

RF – Ok… Là, ici, ça se lit comment ? Est-ce qu’il y a une lecture de l’espace ? 

TVH – Oui moi j’ai commencé là. Je me suis dit que les gens allaient rentrer dans la pièce et commencer à cet endroit là quoi. Et… après il n’y a pas vraiment de chronologie dans les… dans les…  

RF – Dans les dessins ? 

TVH – Dans les dessins oui. J’ai essayé d’amener progressivement les corps en fait. C’est surtout, la façon dont vont arriver… comment les corps vont commencer à occuper l’espace. Juste au début, il n’y en a pas vraiment, et en fait, il n’y a quasiment que des objets qui jouent autour du corps, qui arrivent avant les premiers corps, et les premières images qu’on voit, c’est l’image où il y a directement les deux corps. C’est-à-dire les deux personnages principaux de cette histoire, c’est-à-dire moi et ma compagne. Après, il y a plein d’éléments qui rappellent ces corps et qui jouent avec eux. On part directement de cette affaire-là. On rentre dedans.
Donc en gros, c’est un projet qui s’appelle « L’imitation de la bande dessinée ».
Et donc… j’avais très envie de faire des peintures. J’ai souvent une grosse habitude de travailler, d’observation, donc de faire vraiment de la peinture un peu à l’ancienne avec un chevalet, d’être devant. Et j’aime bien aussi, ce côté un peu daté ou… qui est un peu kitch quoi… comment on va dire… ringard, de faire aujourd’hui de la peinture de chevalet comme ça. Et donc je me suis un peu amusé avec ça.
Mais j’ai aussi, quand même, eu vite envie que ce soit un projet de bande dessinée. Aussi parce qu’il y avait un gros paradoxe, c’est que la bande dessinée c’est… tend généralement, je parle de façon un peu générale, un peu dans le cliché, parce qu’évidemment, il y a plein d’auteurs qui vont aller contre ça… mais la bande dessinée d’habitude, elle raconte une histoire et une histoire c’est de l’action, du mouvement et des séquences. Et donc la façon de dessiner… les images de bande dessinée d’habitude, elles sont quand même souvent des moments où il y a une tension et une action, il y a un déplacement d’un personnage, des relations de cause à effet, etc. 
Il faut qu’on avance dans la narration.
Quand on est un peintre du dimanche, on est obligé de travailler sur des images fixes parce qu’on ne peut pas demander au modèle de prendre des poses comme s’il était en train de courir ou quelque chose comme ça quoi. Donc évidemment le paradoxe qu’on a c’est que… ça ne peut pas vraiment être une bande dessinée parce que toutes les images racontent de l’immobilité. Mais par contre, ça peut quand même être de la bande dessinée parce que dès qu’on met deux images l’une à côté de l’autre, ensemble, notre cerveau a ce conditionnement qui fait qu’il va essayer de les relier et de voir comment elles font sens ensemble. Notre cerveau est vraiment habitué à construire une histoire à partir du moment où on met plusieurs images ensemble même si elles n’ont rien à voir en fait. Et du coup c’est sur cet aspect-là que je joue. Et du coup ça… Je dis trop « du coup »…

(rire)  

Et donc, quand j’ai commencé à faire ce travail, j’ai aussi vu un film de Marcel Marien qui est un artiste surréaliste belge, qui a fait un film qui s’appelle L’imitation du cinéma, et qui a une chouette histoire. Donc lui, au départ, c’est plutôt un poète, il est aussi plasticien, il fait des collages, des ready-made. Et donc, un jour, il avait envie de faire un film et il n’avait pas la technique ni les moyens mais il travaillait dans un journal local, et c’était lui qui était responsable de la tombola. Et donc, il a truqué la tombola pour gagner le gros lot, et avec ça, il s’est acheté une caméra. Il avait un peu de tunes pour faire un film et il a fait ce film qui s’appelle L’imitation du cinéma, parce que, d’une part, c’est comme s’il assumait cette espèce d’imposture qu’il prenait pour faire un film. Il se prenait pour un cinéaste alors qu’il n’en avait pas les compétences… académiques, on va dire…  
Et… ça c’était la première chose, et la deuxième chose c’est qu’il faisait lui-même référence à un livre qui s’appelle L’imitation de Jésus-Christ, un livre écrit par un moine en 1400… quelque chose comme ça. Et qui dit tout ce qu’il faut bien faire pour être un bon chrétien et ressembler à Jésus-Christ.  
Donc lui c’est pas du tout un croyant religieux… Il va toujours, comme les surréalistes, être quelqu’un de très, très engagé ou politiquement du côté du communisme, donc il est plutôt anticlérical. Il va démonter et jouer avec plein d’images catholiques dans un film et donc on retrouve des croix partout. Par exemple, il y a même des frites en forme de croix, un personnage qui roule à vélo avec une énorme croix, un personnage qui est un curé, etc. 
C’est très, très drôle.
Et du coup, j’aimais bien cet enchaînement, je vais prendre le relais, ce truc-là, moi aussi je vais m’emparer de cette idée d’imitation et donc je vais m’inscrire dans cette chaîne-là.  
La bande dessinée, c’est la référence à cela, c’est un peu comme l’inscrire dans cette continuité-là. Et c’est aussi dire : « moi je ne suis pas peintre ». Je devrais plutôt dire ça. C’est un projet de peinture un peu décalé. Je trouvais que c’était plus marrant de l’appeler « Imitation de la bande dessinée » parce qu’au final, ce que les gens vont voir… Bon, ça pourrait s’appeler « imitation de la peinture », mais ça ne l’est pas vraiment non plus.
Une imitation de la peinture, c’est quand même vraiment de la peinture, tandis que quand on aura le livre, c’est aussi l’idée, c’est que ce soit une expo et un livre. Et le livre, les gens auront comme une sorte de bande dessinée sauf que ça marche un peu bizarrement. Ceci dit, je trouve que je raconte quand même plein de choses. Et donc j’ai utilisé aussi des principes qui sont en action chez les surréalistes et particulièrement dans ce film de Marcel Marien.
C’est ça qui m’a un peu décoincé sur la narration dans ce projet, c’est que Marcel Marien y met plein d’images symboliques pour suggérer des actions plutôt d’ordre sexuel quoi. Donc à un moment je crois que le personnage assis à côté d’une femme, ou il va voir une prostituée, elle a la jupe qui est ouverte, la caméra rentre, c’est tout noir puis on a un tunnel avec un train qui passe, puis on a deux œufs avec une bougie et plein d’images comme ça qui sont des images fixes et qui évoquent des symboles phalliques et des… l’idée de la relation sexuelle. Et je trouvais ça super drôle parce que lui, il le fait avec un décalage. On voit bien que c’est un peu grotesque en fait. Il surjoue un peu les allusions, et voilà ça m’a… j’ai trouvé ça vraiment drôle et en même temps poétique. Et donc je me suis dit : « je vais aussi jouer avec ce principe-là ».
Pour résoudre cette question de l’immobilité dans mon récit, le fait que je ne peux pas mettre les personnages en action… Je vais suggérer l’action avec d’autres choses et donc c’est comme ça que j’ai commencé, j’ai rassemblé des… des objets un peu bizarroïdes et rigolos qui sont liés au sexe. Comme ça : c’est un porte-clés de deux personnages mâle et femelle qui peuvent s’emboîter dans toutes les positions, que j’ai trouvé dans un stand de foire où on mettait 5 francs et on avait une petite boîte qui tombait. Et il y avait ce porte-clés en plastique, que j’ai toujours gardé, que je trouve vraiment délirant. Et donc du coup j’ai commencé à le peindre. Alors lui évidemment il évoque le… la sexualité très frontalement. Il y a aussi un jouet qu’on remonte avec deux personnages qui font un soixante-neuf, et donc du coup je trouvais ça rigolo en fait… Finalement de ne montrer le sexe qu’à travers des jouets qui représentent le sexe, le désir.
Ensuite j’ai commencé à peindre des légumes. Donc là il y a des topinambours et des radis… c’est quoi ça ? C’est une patate… je ne sais plus ce que c’est… Vous avez une idée de ce que ça peut être ? Une patate douce? Non?  

Emma Salaun-Brugel (ESB) – Peut-être, oui.

TVH – Quoi ? Oui peut-être une patate douce. Bref…  

RF – Elle a muté.

TVH – J’ai finalement trouvé qu’ils devenaient aussi des personnages et donc je trouvais ça assez marrant de faire des scènes d’amour avec des légumes.
Parce que c’est une histoire d’amour quand même, un peu sans… banale quoi, normale. C’est juste des vues d’un couple en fait, et je trouve ça rigolo de faire des extensions avec plein d’objets et de voir comment ça renvoie au sujet, il y a des légumes.
Quand j’avais… il doit y avoir trente ans, je trouvais vraiment extrêmement glauque, et avec les trente ans qui sont passés, ils sont devenus très vintage et aujourd’hui je les trouve assez jolis. Parce qu’ils ont des bordures de couleurs tout ça, et c’est une pornographie… on ne ferait plus des livres porno comme ça. Du coup je les ai peints, un peu dans la même idée que les… Ça c’est des actions, mais c’est des photos. Donc je peins l’étalement des livres. Voilà, je joue avec ça, j’ai envie de… Une fois que je mets de l’argent, je mets des billets… Je ne sais pas trop pourquoi, mais je trouve que ça crée quelque chose de bizarre, c’est très bizarre de voir des billets peints. On se demande : « mais quoi, c’est de la prostitution ? Qu’est-ce qui se passe ? ». Et bien non, l’argent en fait c’est finalement un truc, on est tous liés à ça, mais c’est quand même bizarre de l’avoir mis dans ma vie, mais oui. Dans notre vie c’est quand même un truc agréable ou désagréable.

RF – Et comment as-tu fait ce choix de te mettre en scène, de vous mettre en scène ? Est-ce que c’était forcément toi, selon toi, ou ça aurait pu être d’autres personnes ? 

TVH – Non, c’était forcément moi. Je trouvais ça très drôle de se peindre, de faire l’autoportrait nu, en train de peindre. Je n’ai pas tout de suite pensé faire un livre, une série. Au début je trouvais juste assez marrant de me dire… de mettre un miroir et de faire un tableau où je suis en train de peindre et je suis nu. Et on voit que je peins dans le tableau. Donc je trouve ça assez cocasse quoi. Du coup c’est devenu un peu le centre, après j’ai fait le tableau… C’est quand même l’un des premiers. Après il y en a eu plusieurs ou je peins nue ma compagne dans son lit.  Voilà donc, c’est venu comme ça. On a l’impression qu’il y a un temps qui est assez court en fait, quand on lie le tout, c’est comme si tout se passait presque en même temps, alors qu’effectivement ça se passe quand même sur huit ans. Je peins très vite, aussi ce n’est pas du tout des peintures léchées. Ma compagne, ça la fait chier de poser, elle trouve que c’est trop long et tout, elle le fait vraiment pour me faire plaisir. Et donc elle ne veut pas rester trop longtemps, donc c’est une heure maximum quoi… C’est déjà pas mal. J’essaie de ne pas peindre plus d’une heure, parfois il y en a qui vont jusqu’à une heure et demie, deux heures, mais j’essaie que ce soit assez vite peint, et de ne pas trop y revenir : normalement c’est une couche et c’est fini quoi.

RF – Là, excuse-moi, c’est quelle encre ?

TVH – C’est de la peinture à l’huile.  

RF – Ah oui, du coup tu es rapide.

TVH – (rire) Et je mets des fonds. Sur du blanc, j’ai toujours un fond de couleur, un fond avec déjà une matière dessus qui permet qu’il y ait déjà quelque chose.

RF – C’est un fond que tu prépares en amont ?  

TVH – Oui, oui, je prépare ma toile, je mets un fond à l’huile assez léger, mais pas complètement uniforme. Avec ce qui reste sur les palettes je fais un fonds en fait, et après ça permet d’aller plus vite. Parfois quand ce n’est pas trop bon ça m’arrive, comme ici, par exemple, j’ai tout raclé et c’est très bien ça fait une présence… 

RF – Donc tous ceux qui sont raclés c’est dans cette idée-là ?  

TVH – Il y en a où je pense que ça doit être raclé, il y en a un, là qui est raclé sur une partie parce que, oui, j’aime bien jouer sur les flous et les nettetés. Et donc, au fur et à mesure, ça se construit. Il y a beaucoup de vues où on voit ces espèces de baraquements bizarres. Ça, c’est un endroit, un camping municipal où on allait en vacances et où j’ai aussi commencé à faire ces peintures sur place, parce que j’aimais bien ces espèces de bungalow des années soixante-dix, qui n’ont pas vraiment été refaits depuis. Et je trouve qu’ils ont une chouette architecture et qu’ils sont assez mystérieux. Donc j’ai commencé à les peindre et on est retournés plusieurs années là et j’ai continué cette série, j’aimais bien qu’il y ait cette présence très énigmatique de ce lieu. En fait ce n’est pas mon quotidien, c’est juste un truc pendant les vacances, on était là à ce moment-là. Je trouve qu’il donne une unité au travail, voilà.  

RF – Est-ce qu’on peut revenir sur le terme de « peintre du dimanche » ? Tu nous as expliqué cette question d’imitation de la bande dessinée. 

TVH – Oui.

RF – Et c’est en lien avec ça ? Ce terme de « peintre du dimanche », comment le définirais-tu ?  

TVH – Alors c’est un peu une blague, c’est pour dire… c’est parce que je fais ça…  
C’est le fait d’être sur un chevalet, d’être devant quelque chose que l’on trouve beau et de commencer à le peindre avec son pinceau, sans vraie prétention en fait. Juste essayer de reproduire ce que l’on a devant nous. Et… bon… ce n’est pas tout à fait vrai parce que j’ai quand même l’envie de faire une bande dessinée, je réfléchis à ce que je fais et au final, je veux quand même faire un projet de bande dessinée et je pense que quand même, il a une place dans un lieu d’exposition. Pour moi, cela fait partie aussi du geste du corps quoi… Je suis le corps du peintre du dimanche, je suis là avec mon chevalet dans la nature, il fait beau et je peins, ou je peins le modèle qui est couché et c’est un peu à l’ancienne aussi.

ESB – Rentrer dans des codes ?  

TVH – Oui c’est un peu dans des codes qui sont aussi un peu aujourd’hui… ce qu’on ne peut plus faire en peinture. C’est un peu de la peinture pour les mamies qui vont à l’Académie (rire). Je trouve cela marrant d’utiliser ça et de jouer avec. Et donc de voir que tout d’un coup c’est cette accumulation qui fait que ça revient un peu dans le champ artistique parce que c’est quand même l’entêtement… comment on va dire ça… l’endurance du travail qui fait que tout d’un coup on peut mettre ici, et ça prend un autre sens. Mais peut être que si on en voyait juste une [de peinture] ça pourrait être chez la tata… dans sa cuisine, ça pourrait fonctionner aussi quoi. 
Des images, chacune, il y en a que je trouve vraiment chouette, ce sont de belles peintures, mais il y en a d’autres, si on les isole, qui ne fonctionnent pas. Et si par exemple je devais vendre des pièces, je n’en vendrais jamais une. Je trouve que par une, elles ne sont pas intéressantes. Ce qui est intéressant c’est ce qui se passe entre les images. C’est pour ça que cette imitation de la bande dessinée, elle ne marche pas si mal, parce qu’une bande dessinée c’est un peu la même chose. Si on isole une image en général, elle n’a pas beaucoup d’intérêt. Ce qui fonctionne c’est une page, deux pages, et c’est un récit dans son ensemble. Les images dans une bande dessinée elles sont conçues pour être comprises dans une suite et pas pour être individuellement analysées quoi. Et ici c’est la même chose quoi… si on les prend une par une. Et donc je ne voudrais jamais que quelqu’un prenne une de ces images  et la mette dans son salon, juste une, parce que je sais bien que ça ne marcherait pas.  

RF – Là c’est sûr que l’on a un rapport à l’animation, au film… 

TVH – Oui 

RF – Là, quand on regarde, j’essaie de m’en imaginer une toute seule, et c’est vrai qu’elle n’a pas la force… Même si ce sont des images très calmes, ça crée un mouvement assez fort.

TVH – Oui.

RF – Peut-être que c’est venu inconsciemment aussi, petit à petit, c’est de l’animation je ne sais pas trop… 

TVH – J’ai fait aussi un peu d’animation sur d’autres choses, mais l’animation ce n’est pas du tout la même chose. Tu vois que ce serait vraiment très très saccadé.  

RF – Le fait que ce… Quand je dis animation ce n’est pas de l’animation propre, mais du mouvement, juste du mouvement. Après, peut-être que si tu as fait de l’animation, enfin j’ai vu que tu avais fait de l’animation à côté. Ça t’a peut-être influencé sur une certaine composition… 

TVH – Oui. Mais ici je ne pense pas tellement…  

RF – Non ?  

TVH – Je pense que l’animation c’est qu’en fait notre regard il avance dans les… Tu vois, il essaie de faire des liens et ça devient un peu comme quand… On pense un peu à un film quoi. 

RF – Oui 

TVH – Tout le monde le dit que ça y ressemble, qu’il y a un côté un peu cinéma. 

RF – Avec des jeux de plans… 

TVH – Je n’étais pas sûr de la mettre, cette partie-là, au départ. Parce que pour moi elle n’est pas encore résolue. Mais je l’ai quand même mise parce que je trouve que c’est chouette… D’abord, j’aime bien ces toiles avec ce ventre énorme. Donc, c’est ce qui fait dire qu’il y a quand même une temporalité. J’aurais dû la mettre tout au bout si on avait vraiment voulu qu’il y ait une temporalité… et je ne l’ai pas mise tout au bout… Après il y a un enfant… Il faudrait qu’il continue à être quelque part là-bas… mais c’est aussi parce que je n’ai pas fini le récit. Je vais m’y replonger, je ne sais pas encore ce que je vais faire…  
Mais là, on peut très bien lire ça comme ça. Et pour moi, ce n’est pas non plus une obligation si les gens commencent à le lire comme ça et bien voilà, ce n’est pas une catastrophe, c’est juste que j’aurais préféré que ça vienne plutôt aux deux tiers de l’expo qu’au premier tiers, mais… c’est possible aussi.
Je pense que dans une expo, on ne peut pas obliger les gens à commencer quelque part… Ou alors il faut vraiment que la scénographie nous force, nous contraigne. Ce serait, par exemple un couloir, quelque chose comme ça, mais ici les gens rentrent dans une salle et s’ils veulent commencer là, ils commencent là aussi. Ça ne va pas être catastrophique.  

ESB – Est-ce que tu reviens souvent à des œuvres que tu as faites des années en arrière ?  

TVH – Je ne l’ai jamais arrêtée non plus. Donc je continue… j’y reviens… mais je ne l’ai jamais arrêtée non plus.  
Je les regarde de temps en temps mais pas tellement parce qu’ils sont rangés, ça prend de la place. Un moment quand j’ai commencé, j’avais une maison avec plusieurs étages, et donc je les mettait dans la cage d’escalier, mais à un moment j’en avait trop. Puis on a fait des travaux, on a repeint la cage d’escalier, donc j’ai tout enlevé. J’ai tout rangé et donc j’ai arrêté de les regarder. Je les avait photographiés vaguement et donc j’ai plutôt joué avec Indesign. J’ai beaucoup joué sur le livre, à chercher la construction, etc.
Mais j’ai cette habitude de travailler très longtemps sur des projets ? Et, comme j’ai des activités multiples, je suis éditeur, je suis prof, je donne des cours de BD et j’ai aussi des enfants et tout, donc je suis quand même vachement occupé. Je n’ai pas beaucoup de temps… enfin ma pratique artistique elle n’est pas… elle est… il faut que je trouve le temps quoi. Donc je fais des projets qui durent très longtemps, je fais plusieurs projets en même temps. Ce projet-là, je l’ai commencé il y a dix ans et j’ai aussi un autre projet, Frandisco, qui est présenté à la Galerie Le Lieu (Lorient), avec Marcel Schmitz, l’artiste qui fait partie de La S Grand Atelier, qui est un centre pour artistes mentalement déficients. Il est trisomique, il construit une ville en carton et en scotch et moi je fais une BD avec ça.  
Donc j’ai cet autre projet là, et j’ai encore deux autres projets de BD en plus (rire). Donc ça, effectivement, c’est un truc auquel je viens quand j’ai du temps et que j’ai envie de faire de la peinture, mais il m’accompagne toujours puisque j’ai un dossier Indesign avec toutes les images. Et de temps en temps, je viens voir comment je réécris ça. Quand je prends le train par exemple. Et j’ai un autre projet de BD que je travaille depuis vingt-ans… Donc, tu vois je n’ai pas l’impression de revenir aux choses tant qu’elles ne sont pas finies, elles m’accompagnent et j’aime bien avoir plusieurs travaux en chantier. Il y en a que j’essaie de terminer plus vite. Là maintenant je suis sur un autre projet  : j’aimerais bien arriver à le finir en deux-trois ans. En trois ans, je comptais le finir en un an, puis deux ans, puis ça va être trois ans finalement.
Là, c’est plus intense comme travail, mais sinon je n’ai pas vraiment l’impression de revenir à ces choses… J’ai l’impression qu’elles sont un peu toujours là et que de temps en temps je peux m’y reconsacrer… plutôt qu’y revenir… Et là, effectivement, je me dis que pendant l’été je vais mettre un paquet puis je vais finir, en fait. Je ne veux pas encore mettre cinq ans dessus.

RF – Tu as dit que tu travaillais là sur Indesign pour construire ta BD… 

TVH – Oui.  

RF – Tu as été voir un photograveur comme tu nous en a parlé pour les scanner ou… 

TVH – Oui j’ai tout fait photographier par un bon photographe.  

RF – Ok. 

TVH – Avant de venir… avant de venir ici… 
Elles ne sont pas encore traitées pour faire un livre, mais en tout cas moi, pour voir sur Indesign ce que ça va donner mon agencement…   

RF – Peut être qu’on peut parler de Marcel Schmitz ? Tu nous en a brièvement parlé.

TVH – Oui, c’est vrai. Mais toi tu ne m’as pas fait de retour encore.  

(rire) 

RF – C’est vrai, j’ai pas fait de retour. Moi je dessine beaucoup, j’ai peint un peu mais je dessine beaucoup et c’est vrai que de voir tout ça, là… C’était assez fort. J’aime beaucoup tout ce qui est accumulation, tu as un travail de la couleur qui est intéressant, et c’est vrai que souvent je ne suis pas très touché par ce qu’on peut appeler « art contemporain ». Mais comme toi tu as une approche de bédéiste… 

TVH – Oui.

RF – Je pense que c’est ce qui m’a touché et donc… ça aurait été intéressant d’essayer, de faire un bloc, mais là tu as été contraint par l’espace. 

TVH – Oui.

RF – Mais si tu avais pu ça m’aurait fait une autre impression.

TVH – Ça aurait été chouette d’avoir un coin, vraiment.

RF – Oui c’est ça. Avec une vraie accumulation ça aurait été fort aussi. Mais comme ça, ça fonctionne quand même. 

TVH – Oui c’est super je suis content, très content.

RF – Et… oui.

TVH – Okay.

RF – Félicitation.

(rire) 

TVH – Merci.

RF – Donc, du coup, tu nous a parlé de Marcel, est-ce que tu peux nous en dire plus ? Peut-être nous le re-présenter, je pense qu’on a lu un petit peu mais que ce soit toi qui nous dise.

TVH – Marcel il travaille à La S Grand Atelier. Il est arrivé là, ça doit bien faire quinze ans. Au début, personne n’y croyait trop en fait. Tout le monde le trouvait super, très marrant, vraiment gentil, rigolo. Mais c’était un peu pour la blague quoi. Il a toujours été fasciné par l’architecture et les bâtiments. Il faisait des truc super… naïf quoi. Le bâtiment c’était un rectangle, dedans il y avait d’autres rectangles. A un moment, il a compris qu’il y avait moyen de représenter l’espace tridimensionnel, sur le papier en deux dimensions. La perspective quoi. Il a demandé à un animateur, Fabien, à l’époque, de lui apprendre ça. Il a commencé à pouvoir dessiner des 3D foutraque, mais on sent du coup qu’il installe une tension 2D-3D dans son dessin. Et il a commencé à faire des trucs super beaux. Et ça ne lui a pas suffit, il a voulu commencer à construire des bâtiments. Il a commencé à construire les premiers bâtiments d’une ville qu’il a appelée « Frandisco ».  

RF – Qu’il a construit avec quoi comme matériaux ?  

TVH – Du scotch, du carton, des trucs qu’il trouvait, des morceaux de gravures qu’il avait faites, des broderies. Et donc, du coup, j’ai vu ses premiers bâtiments. Il y en avait deux, un regroupement, il l’appelait un « tunnel-église ». Une autre, c’était une usine et c’était une usine de chicon, les endives en Belgique. Il y avait d’autres bâtiments qui commençaient à se construire. J’ai proposé à Anne-Françoise, la directrice, avec qui je suis très ami, j’étais là parce que je continuais à travailler sur des projets d’autres auteurs, en tant qu’éditeur quoi. Et donc je lui ait dit : « moi je veux faire un truc avec Marcel. Je veux faire une bande dessinée sur cette ville ». Quelque part, servir à documenter et préserver la mémoire de ce que Marcel raconte autour de ces bâtiments. Donc je vais faire cette bande dessinée, mais ce sera ma bande dessinée, mais il faut qu’on puisse travailler ensemble.
Je dis ça parce qu’avant j’avais travaillé avec Richard Bawin qui était un autre artiste de La S. Lui aussi trisomique, d’ailleurs. Et qui lui était super fan de Jean-Claude Van Damme. On était partis de deux films, Cyborg et Full Contact on en avait fait une BD. Et là, c’était ultra fusionnel, on travaillait tous les deux sur les mêmes dessins, on faisait des collages, je redécoupais ses gravures.
Et donc, ici, c’est l’idée de faire un truc… On est pas du tout dans la fusion. Marcel il n’a pas besoin de moi, il construit sa ville. Il est complètement indépendant. Ma BD, c’est un peu la même chose. On a commencé a travailler dessus, j’ai fait quelques pages, j’ai pu commencer à dessiner au trait, j’ai toujours dessiné à la masse, plutôt en peinture, ou en monotype, des techniques qui jouent sur les flous et l’organicité de la matière.
A travers ça, je voulais dessiner au trait, je voyais pas comment, et j’ai acheté le Rotring le plus fin… le 0,10…0,14… je ne sais plus… 0,14. Et donc, j’ai commencé à dessiner sa ville au Rotring et tout d’un coup j’étais super content. Donc j’ai fait une dizaine de pages. Il y a un gars de Genève qui a vu ça, il lui a proposé de faire une expo au Théâtre du Fort Meyrin. On avait pas encore énormément, moi j’avais vingt pages. Donc j’ai proposé que ce soit une expo en chantier. Pas avec les dessins encadrés et la structure au milieu. Il y a la ville qui est là, mes planches mises au murs avec des petites pinces parce que ça va encore bouger. Et on travaille là durant la période de l’expo, on a chacun un bureau. On est là quand les visiteurs entrent dans l’expo. Marcel, il adore évidemment, il est super content de voyager, enfin ça se passe hypra bien, on a un super hôtel, un hôtel de businessman à coté de l’aéroport de Genève. Marcel, il a une super grande chambre, bien plus belle que chez lui au foyer, donc il est content. Les gens viennent, discutent, ils parlent avec Marcel, lui disent que c’est magnifique ce qu’il fait. Marcel, il découvre plein de trucs, il mange de la fondue, il construit une fromagerie pour la mettre dans Frandisco. Il construit un hôtel, une douane parce qu’on a eu des problèmes de douane pour arriver. On a trouvé l’essence de ce projet, notre ville va nous permettre de voyager, de découvrir de nouveaux lieux, dormir dans des chouettes endroits, de bien manger, et pour la bande dessinée et pour la ville, de s’enrichir de ces voyages. On a voyagé durant une dizaine d’années avec ce projet-là. On est aussi restés à La S Grand Atelier, dans le centre qui est dans les Ardennes où j’ai fait des résidences. Marcel est venu habiter chez moi à Bruxelles, on a a fait une exposition au BRASS, un centre culturel très beau à Bruxelles. Marcel avait une chambre à la maison, celle de mon fils (il partait à ce moment-là).
Après, on a été à la fondation Vasarely en Provence. On a vécu un peu dans la fondation. Vous voyez Vasarely ? Avant sa mort, il a construit un énorme bâtiment aux abords d’Aix-en-Provence, où il a fait des œuvres spécialement pour. C’était de très grande pièces en hexagone, et chaque mur comportait une œuvre 2D, 3D, avec des formes géométriques, optical art quoi. On a l’impression de se retrouver dans un film de science-fiction des années 70. C’est vraiment super chouette. Donc Marcel, là-dedans, entrain de dessiner, il a refait la fondation Vasarely dans la ville.

RF – Il y a des couleurs dans son travail ?  

TVH – Oui, du coup moi dans la bande dessinée, je ne voyais pas comment ne pas amener de la couleur. A la fin du livre, il y a des pages avec des images à la gouache et Marcel aussi a reproduit des œuvres de Vasarely. C’est Marcel qui a trouvé la façon de ramener la couleur dans le récit. On s’est promenés dans la fondation, dans les caves on avait trouvé une énorme machine, un truc électronique comme un tableau de bord sous-marin quoi. Et Marcel, il n’arrêtait pas de me parler de MacGyver. Donc MacGyver a été redessiné en partie par Marcel. Il y a toute une parade qui arrive avec Marcel à la fondation, il a un paquet de frites et elles commencent à sortir du paquet. Elles ont des petites pattes, et elles viennent lui parler à l’oreille et elle a un petit hexagone de couleur qui lui sort de la bouche. Et, à partir de ce moment-là, il y a toute la couleur qui arrive dans la ville. On discute longuement pour trouver toutes ces idées un peu rigolotes.

RF – Quand vous discutez vous travaillez en partie au fur et à mesure ?  

TVH – Il est en train de construire, moi je suis en train de dessiner la ville. Voilà, on peut travailler en même temps. Ça peut-être le soir quand on est au restaurant ou quand on prépare à manger. 

RF – Et Marcel il n’a jamais un œil, un regard sur ce que tu fais ? 

TVH – Si ! 

RF – Si ? 

TVH – Bien sûr. 

RF – Et du coup c’est lui qui te dirige ou… ? 

TVH – Oui ! Les deux…  
Naturellement on s’est autorisés à intervenir chacun l’un chez l’autre. 
Donc, Marcel… il y a beaucoup de dessins de Marcel finalement dans la BD, parce que moi, au départ, je me suis dit que je dessinais tout d’observation, je devais tout voir. Et donc, quand je dessine Marcel, en fait, je le fais poser. Donc, ça fait aussi des scènes assez cocasses parce qu’on est dans l’expo, les visiteurs qui viennent et tout d’un coup Marcel je lui demande d’escalader un… parce que dans la BD, il doit monter sur le toit d’une voiture et donc il est en train d’escalader une espèce de rambarde qui est à l’entrée de l’expo et les gens, ils arrivent et ils voient Marcel comme ça (rire)… Y’a des gens qui se sont enfuis, ils ne comprenaient pas ce qu’il se passait quoi. Et donc, ou alors ils entrent dans l’expo et Marcel il est là, comme ça, et il ne bouge pas (Rire) parce que je suis en train de le dessiner et voilà ça fait plein de situations vraiment drôles. 
Ah oui, pourquoi je disais ça ? Ah oui ! Et donc effectivement je veux tout dessiner d’observation sauf qu’il m’a dit : « il faut saint Nicolas dans l’histoire ». Je lui fais : « Ah, saint Nicolas, je n’ai pas de modèle, ça ne va pas le faire, je suis désolé, va falloir que tu le dessines ». Et donc, du coup, c’est lui qui a dessiné saint Nicolas. Et j’ai utilisé ses dessins de saint Nicolas d’abord et puis je l’ai redessiné à sa manière. Il y a plein de choses pour lesquelles je l’ai vraiment sollicité pour qu’il dessine un modèle et moi je repars de ce modèle et je l’anime en fait. Alors là puisqu’on est en animation c’est moi, il fait le modèle sheet et moi j’utilise le character design de Marcel pour le, pour les personnages. 
Moi dans Frandisco, le premier livre, je voulais qu’il y ait un peu d’action. Et je voulais qu’il y ait un problème. Parce que s’il n’y a pas de problème, c’est difficile de voir vraiment l’histoire. Moi je voulais que le… Y’a un sous-marin qui vole avec un communiant qui conduit le sous-marin. Et je voulais que le sous-marin fonce dans l’hélicoptère, y’avait un hélicoptère médicalisé, avec Anne-Françoise, la directrice de La S, qui est une espèce de madone dans l’hélicoptère. Et je voulais qu’il y ait un crash parce qu’un bon accident, ça fait un bon moteur dans l’action, mais il ne voulait absolument pas. Il ne voulait pas du tout qu’il y ait d’accident à Frandisco…
« Ah non Marcel c’est, c’est comme ça… Enfin, tu vois bien hein, ça peut arriver quoi, voilà y’a un accident maintenant qu’est-ce qu’il se passe ? ».
Et donc finalement il a rebondi là-dessus, finalement il était d’accord (il n’avait pas trop le choix) Et heu… (rire) Et donc il me dit : « Ah ouais, bah alors Anne-Françoise elle tombe en parachute », et donc je trouve ça super, « ok très bien ! Anne-Françoise descend en parachute de l’hélicoptère et elle tombe dans les bras de saint Nicolas ». Et ça c’était dément parce que du coup pendant toute la fin… toute la dernière partie, il y a saint Nicolas qui tient Anne-Françoise dans ses bras, comme ça, et je l’ai laissé, ça devient une espèce de personnage quoi, saint Nicolas avec Anne-Françoise dans ses bras pendant tout le reste de l’histoire. Voilà c’est des trouvailles comme ça… 

(Silence)

RF (à Emma) – Je ne sais pas si t’as des questions… 

ESB- Hum… Là non… Ça semble extrêmement riche et (rire de Thierry) ça vient… Ça a l’air de venir de partout.

TVH (en riant) – Ouais désolé ! Ça va être compliqué pour vous non ? 

ESB – Non non, ça fuse de tous les côtés, non, mais c’est super intéressant, mais du coup j’ai… Pas de question.
(À Rémi) T’as une question peut-être sur une de ces…

RF – Heu… Je n’en ai pas et en même temps c’est dur.
J’essaie de rebondir (rire)

ESB – Sinon j’en ai peut-être une…

TVH – Ouais ? 

ESB – Heu est-ce que… Y’a… Enfin là, du coup, actuellement, y’a des idées pour plus tard ou pour un autre… Une autre série ou un autre projet… ? 

TVH – Ouais, ce que vous allez voir à la Galerie Le Lieu. 

ESB – Ok…

TVH – Et donc… Ouais on est encore partis beaucoup plus… beaucoup plus loin, on est partis carrément dans l’espace… En fait, on a fait une résidence au Palais du facteur Cheval. (Réaction d’Emma) Ça c’était vraiment… Tu connais ? 

ESB – Oui ! 

TVH – C’est vraiment incroyable, magnifique lieu… 

ESB – Oui, oui oui.

TVH – Et donc, on a habité dans la maison du facteur et donc on avait… Ce qui était génial, c’est qu’on avait accès au palais pendant la nuit, parce que le facteur Cheval, il a construit ce palais la nuit en fait. Il allait chercher les pierres, pendant, après sa tournée et puis il rentrait avec ses pierres et il a construisait la ville… Il construisait son palais à la bougie et donc on avait accès à ça… On a visité à la bougie, le palais à la bougie, la nuit et tout, c’était dingue. Et donc, du coup, quand on était là en résidence, on a commencé à parler de, je sais plus… Ouais, y’a une histoire avec les Schullers et tout et à un moment, ils vont partir en fusée. Et ils vont sur Planète 2… Ok. C’est quoi Planète 2 ? C’est la planète des amoureux. Ok. Y’a quoi sur Planète 2 ? Y’a des Indiens en bikini qui font des barbecues sur la plage. Waa (claquement de langue) trop bien ! Donc, du coup, la nouvelle ouverture dans le projet : on part de Frandisco et on va à Planète 2 et ça correspond aussi au moment où il y avait le, le démantèlement de la ZAD de Notre-Dame des Landes. Donc du coup pour moi heu… J’ai fait un parallèle quoi, parce qu’on avait heu… Ces Indiens en bikini qui font des barbecues sur la plage, ça correspond quelque part à l’idée des cabanes et des campements de la ZAD. Les Indiens bah pour moi c’est aussi… Enfin y’a… On peut trouver des analogies dans plein de sens et j’étais super choqué de cette violence qu’il y a eu autour de ce démantèlement et la manière dont on a vraiment écrasé heu… une utopie heu… Positive quoi ! Il y aurait, je pense, eu d’autres manières (rire) de s’occuper de prendre soin de ces gens-là. Heu… Et donc je dis bah voilà il faut, c’est une façon de répondre à ça et de… Cette planète elle va… Elle est une zone de cette nature-là. On va parler un peu de ça. Même si Marcel, ça le concerne pas vraiment… Planète 2, ça devenait aussi, pour moi, une extension qui permettait, de m’impliquer, aussi par rapport à mes préoccupations plus politiques et idéologiques et tout ça dans le récit. Alors que dans Frandisco, comme c’est la ville de Marcel et que je me suis dit au début je ne vais rien avoir dans cette ville, je vais juste documenter ça. Je restais très neutre en fait. Je ne mets pas de préoccupation à moi là-dedans, mais maintenant c’est bien que le projet évolue aussi. Et Planète 2 ça devient une zone où effectivement ça va… Y’a toutes les… tout ce que Marcel développe, son univers, c’est-à-dire heu… Lui c’était les Indiens en bikini, les barbecues et tout ça. Mais pour moi ça veut dire autre chose. Ça veut dire aussi la question de l’effondrement, de comment, du monde de demain, de tout… de qu’est-ce qu’on doit construire. Comment on peut s’organiser, s’organiser autrement, etc. Et je peux le mettre aussi dans Planète 2 et les deux peuvent cohabiter sans que ce soit heu… Sans que j’instrumentalise le travail de Marcel ou sans que je l’amène à… voilà, ça peut être des visions qui se complètent. Et donc cette Planète 2 justement, ça relance le projet sur une nouvelle dimension. D’autant plus que Planète 2 est aussi devenu, à côté de ça, un projet un peu collectif. Parce qu’il y a un festival à Aix-en-Provence qui m’a commandé un journal et j’ai proposé de faire le journal de Planète 2 et donc, du coup, là on a trois numéros qui sont sortis, c’est des journaux gratuits qui ont été tirés. Le premier à 15 000 et les deux autres à 10 000 exemplaires. 

RF – C’est un festival de quoi ? 

TVH – De BD. 
Et donc du coup y’a heu… C’est des journaux de 16 pages et chaque fois y’a Marcel et moi. Mais on a, à chaque fois, invité plein d’artistes aussi à faire des pages sur Planète 2. Et donc on… chacun peut… imaginer, construire cette planète comme il le veut quoi. Je ne donne pas du tout de contraintes aux auteurs que j’invite. Je leur dis « Voilà il existe déjà des choses sur Planète 2. Des choses que Marcel et moi avons racontées. »  Donc je renvoie un peu le heu… le matos. Mais ils peuvent aussi faire quelque chose qui n’a rien à voir. Voilà et donc maintenant y’a… Ouais ! Y’a déjà quand même 48 pages d’autres auteurs autour de Planète 2. J’ai amené des journaux ! Ils sont au Lieu ! 
Je peux vous en mettre un de côté, un de chaque. Parce que le premier il est quasiment épuisé, mais là y’en a un petit peu. Hum bah je vous en garderai. 

RF – Ok avec plaisir. Et heu… Donc là parmi les… tous les artistes qui ont participé il y en a du Frémok aussi ? 

TVH – Oui, plein. Dans le premier, il y avait beaucoup d’auteurs du Frémok, mais j’essaie d’avoir dans ce… dans ce journal… un grand mix, un équilibre entre les artistes outsiders, les artistes de la S. Des artistes soi-disant « professionnels », des artistes émergents, très jeunes, et des artistes plus mûrs, comme nous les vieux auteurs du Frémok. Et… la Parité.
Y’a des auteurs du Frémok, mais y’a aussi des auteurs beaucoup plus jeunes qui n’ont jamais été publiés. Et j’aime bien me donner cette grille que j’essaie de suivre rigoureusement parce qu’en fait c’est… J’ai découvert aussi des choses là-dessus par rapport… Par exemple la parité. C’est un truc tout bête, mais ce n’est pas si simple. Ça veut dire que… C’est vrai comme finalement si on ne le fait pas, si on se dit pas « y’a pas de parité », on va mettre plus de mecs que de filles. Je ne sais pas pourquoi. Parce que y’en a plus autour de nous ? Et là je me suis forcé à ça et ça donne des castings vraiment super chouettes.

ESB – Et concernant le nom, pourquoi le nom de départ du Frémok c’était Fréon ?  

TVH – Ah, parce qu’avant ça on avait un groupe qui s’appelait Frigo Production, on a trouvé que le frigo c’était un bon objet… Puis, après, on a fait une association. Le fréon c’est le gaz qui fait fonctionner le frigo. Ensuite on a fusionné avec une autre maison d’édition, près de Paris qui s’appelait Amok, donc c’est devenu Frémok.

RF – Même dans le Frémok tu as réussi à trouver cette parité ? 

TVH – Oui oui oui ! Sur un numéro, oui. Mais après, je n’ai pas mis tout le monde du Frémok tu vois j’ai… Dans le premier numéro, du coup, je sais plus, mais il doit y avoir heu… 16 artistes. Il doit y en avoir heu… Peut-être 6 du Frémok et puis heu… C’est déjà pas mal. Et puis il y en a un peu dans tous les numéros, mais il y a aussi des artistes qui viennent d’ailleurs. C’est aussi pour moi l’occasion de faire participer des artistes que j’aime beaucoup. Que je connais depuis longtemps ! Des artistes dont j’ai déjà un peu vu le travail auquel je crois et avec qui j’aimerais bien un jour travailler. Tu vois c’est aussi une occasion… De resserrer des liens ! 

RF – C’est plutôt une collaboration franco-belge ? 

TVH – Y’a des Allemands, des Suisses, heu… 

RF – Internationale ? 

TVH – Internationale, ouais ouais (rires). J’aimerais bien l’ouvrir encore plus. Et donc on a fait ce projet aussi avec heu… Un autre…
Un projet dont j’ai un peu parlé à la conférence, le projet qu’on fait avec les gars de La voix des sans-papiers. Donc une occupation de sans-papiers à Bruxelles. Une occupation ça veut dire qu’ils ont pris un bâtiment, qu’ils sont dedans comme un, comme un squat quoi. Mais c’est très grand ! Ils sont vraiment beaucoup. Et donc eux, ils militent… pour la régularisation, leur régularisation et la régularisation des sans-papiers en général. Donc on a fait un projet avec d’anciens étudiants et quatre personnes de La voix des sans-papiers. Et, en fait, le projet a commencé a démarrer aussi parce que j’avais commandé, à un moment, quatre pages pour Planète 2. Donc du coup, ils ont été obligés… Bah ils avaient commencé déjà à travailler depuis un moment, mais là, ils ont été obligés de faire des pages dans un délai, de s’organiser. Ils allaient être payés pour faire des pages, etc. Ça s’était, pour moi, vraiment super chouette de pouvoir me servir de ce journal pour le faire avancer, pour montrer ce travail que je trouvais aussi super chouette. 

RF – Donc tu donnes une vraie dimension engagée à ton travail.

TV – Ouais ! Ouais ouais bien sûr, bien sûr. 

RF – Est-ce que t’as… Parce que là, dans Planète 2, c’est ce que tu fais, mais… Est-ce que tu la retrouves dans d’autres travaux que tu as faits avant ? 

TV – Heu… Oui. Ça c’est le moins engagé (à propos de cette exposition), quelque part, de ce que j’ai, de ce que je fais, parce que c’est le plus intime et le plus autocentré. Après bon, je pense qu’il y en a … Bah oui, je ne peux pas défendre quelque chose politiquement… C’est autre chose, c’est une espèce de poésie très heu… intimiste. Mais en général y’a quand même ouais… déjà dans le Frémok, ce qu’on fait, je pense que c’est un engagement fort, mais qui n’est pas si explicite parce qu’en fait, l’engagement est dans la confiance que l’on met dans l’intelligence du public quoi. On pense que les gens vont… On peut faire des choses qui sont difficiles et les gens vont le lire et le comprendre. On ne doit pas se dire que… On entend souvent ça : « Ouais, mais vous faites ça, mais personne ne comprend », ou « c’est trop ceci, c’est trop cela », bah non en fait. On peut avoir confiance, il faut avoir confiance dans les gens et dans leurs capacités à lire les choses ou sinon c’est que c’est de la… de l’esprit de supériorité quoi ! On ne peut pas dire, on ne peut pas penser à la place des gens ce qu’ils vont comprendre, ce qu’ils ne vont pas comprendre, etc. Il faut baser le travail sur la confiance et cette notion de confiance je pense qu’elle est déjà très très importante. Effectivement, toutes les œuvres et les auteurs chez nous sont traversés par des engagements multiples, politiques et humains. 
Mais là, par exemple, j’ai un autre travail en cours, c’est le travail que j’essaie de finir le plus rapidement parce que c’est le plus engagé qui est autour de la figure de saint Nicolas. Je ne sais pas si vous connaissez saint Nicolas ? 

RF – Heu… non.

TV- C’est un saint… En Belgique il est aussi important que le Père Noël. Mais il a une légende qui est assez cool. C’est qu’en fait, il était en train de se balader, je ne sais pas ce qu’il foutait, il se promenait dans la nature. Il a faim, il arrive dans une auberge et il demande à manger. On lui amène un truc, un plat, il se rend compte que c’est un morceau d’enfant dans son plat. Et donc il pète un câble, il va dans la cuisine, il casse la gueule de l’aubergiste et il va dans les frigos, enfin ce ne sont pas des frigos, c’est des tonneaux avec du sel, et il trouve plein de morceaux d’enfants. Et donc il ressort tous les morceaux, il remet les enfants ensemble, BAM, il les ressuscite et il repart avec tous les enfants. Et donc je trouvais cette histoire géniale, et j’en ai fait une sorte d’adaptation qui parle du monde qu’on prépare aux enfants. Comment c’est possible de faire ce qu’on fait en fait, en sachant que… Et faire des enfants, en sachant qu’on va laisser ça à des générations futures quoi, que ce soit le nucléaire, les problèmes de migrations, que ce soit tout ça, voilà ! Et donc ça parle de ça, mais c’est une sorte de compte. 

RF – Ça s’appelle comment ? 

TV – Ça s’appellera La véritable histoire de saint Nicolas

RF – Est-ce que tu reprendrais cette base biblique, enfin je ne sais pas si on peut appeler ça biblique, mais cette histoire ? 

TVH – Ouais, moi j’ai eu un truc avec la religion, parce que je viens d’une famille plus ou moins catholique. Donc je sens que la religion elle fait partie de mon conditionnement, elle est implantée culturellement en moi. J’ai plein de heu… Ouais c’est quelque chose qui fait partie de mon imaginaire et donc j’aime bien jouer avec ça. D’une part parce que c’est des codes qu’on connaît, qui nous habitent, qu’on peut retourner et qu’on peut détourner. Et d’autre part parce qu’il ne faut pas laisser ça juste heu… aux fachos ! 
Voilà donc on peut aussi réutiliser ces imageries-là et retourner à ce qu’elles peuvent bien avoir de positif parfois. 
Et donc mon Saint Nicolas, ce qui est marrant, j’ai l’impression que tout se… Vous allez devoir démêler tout ça (rires). Mais c’est le Saint-Nicolas que Marcel a dessiné dans Frandisco, qui est complètement déglingué. Il est même plus, pas très humain, il a une espèce de truc… Ouais vraiment déglingué. Et donc j’en reviens à Frandisco, je commence à dessiner Planète 2, je voulais faire ça à l’aquarelle. Je voulais qu’il y ait de la couleur sur Planète 2, de la couleur très aérienne et assez légère. Tout rose et puis bleu, comme ça, très jolie. Et j’ai commencé à faire de l’aquarelle, mais je m’en sortais pas du tout quoi. Je me suis dit : « Je vais faire un break, je vais faire une petite histoire à l’aquarelle en dix pages », pour arriver à maîtriser la technique. Et je me suis dit : « Ah, mais je vais faire cette histoire de saint Nicolas avec les enfants, elle est cool » (rires), et comme ça, je ferai une petite histoire… Et donc j’ai commencé à faire cette histoire et en fait c’est devenu… Et je me suis assez vite rendu compte que ça allait être beaucoup plus long que ça, parce que je voulais vraiment prendre du temps. 
Donc dans cette histoire, saint Nicolas avant de trouver les enfants il y a déjà, je crois, 80 pages. Il fait que se promener, il traverse tout, il vient même en Bretagne avec les algues vertes. Il traverse tous les trucs heu… centrale nucléaire, champs d’éoliennes, pollution en tout genre, publicité, tout quoi ! Et donc il est là, à se promener avec sa grande canne et à côté de ça on voit des enfants qui se font choper de différentes manières par les flics. Et ces enfants-là, on va les retrouver en morceaux après. Et donc c’est devenu vraiment un long récit et ça, j’aimerais bien le sortir l’année prochaine pour la saint Nicolas. La fête en Belgique, c’est le 6 décembre, donc faudrait que ça sorte en octobre, je suis en train de le terminer. Et j’ai une bourse du Centre national du livre (CNL) pour le faire, donc j’ai arrêté de donner cours aussi pendant un an. Je ne suis plus que sur ce livre maintenant, mais je ne montre rien ici (rires). 
Je travaille un peu dans ma chambre le soir pour avancer, je suis un peu en retard. J’en suis à la page 117 ! 

RF – Et tu penses qu’il va y avoir combien de pages ? 

TVH – Ah j’espère pas beaucoup plus que 150, 160 max. 

RF – C’est déjà bien 117 alors ! 

TVH – Ouais c’est déjà pas mal hein ! 

(Rires)

TVH – Mais l’aquarelle, c’est long. 

RF – Là, en tout cas, cette histoire de saint Nicolas c’est une belle image, c’est fort, avec tout ce qui se passe, tout ce qu’on entend… 

TVH – Ouais.

RF – À la fois c’est violent, mais… 

TVH – C’est très violent ! Mais tout est très violent effectivement, être enfant aujourd’hui, même être jeune aujourd’hui, c’est compliqué. 

(Silence)

ESB – Heu… T’as des questions ? 

RF – Heu… Non ! je crois que là… 

TVH – J’ai beaucoup parlé hein !? Vous allez avoir du boulot ! (Rires)

ESB – En fait, on avait des questions, mais tout a été plus ou moins dit, parsemé un peu partout, donc c’est trop bien ! C’est très fluide, et c’est super. 

TVH – Ok, si vous avez d’autres questions, si à un moment vous vous dites : « Oh il manque un truc, ou il y a un truc… », vous me dites hein ? 

RF – Ça marche, on te tiendra au courant. 

TVH – Ouais, ce que j’ai du mal à faire, c’est d’écrire de longs trucs bien écrits parce que ça, ça prend plein de temps, mais sinon on peut aussi faire un truc en visio ou autre, si jamais vous avez besoin d’un petit complément. 
Et donc vous allez faire quoi avec ça ? 

ESB – En fait, ce serait du coup pour un blog AVJ et on va, ensuite, potentiellement mettre des images, des écrits… 

RF – Oui, moi je pensais dessiner aussi… 

TVH – Ok, cool ! 

RF – Enfin oui c’est ça, faire une retranscription déjà purement écrite, et ensuite ça prend la forme que l’on veut, on va voir ce qu’on en fait… 

TVH – D’accord, parce que la retranscription c’est… 

ESB – Oui c’est long ! 

TVH – C’est long hein ! 

RF – Mais bon, on va se débrouiller hein ! 

TVH – Faudra enlever les « du coup » que je dis tout le temps. 

(Rires)

RF – Je pense, nous aussi on le dit pas mal.

TVH – C’est fou ce truc ! 

RF – C’est récent ça, le « du coup », tout le monde dit « du coup ».

TVH – Oui ! (Rires)

RF – À l’école où j’étais l’année dernière, c’était pareil, tout le monde disait « du coup ». (rires)

RF – C’est un tic de langage francophone, comme le « voilà » à la fin des phrases. 

TVH – J’ai dit ça aussi moi ? 

RF – Non, peut-être pas.

TVH – Enfin vous verrez bien…