« Mes meilleurs armes sont mon crayon et ma voix ! »
La première fois que j’ai pris part à une interview, je n’étais pas la personne qui posait les questions. J’avais environ 16 ans et je pensais pouvoir changer le monde. C’était en manifestation sur Montpellier, j’étais la seule du lycée à faire grève, ce qui m’a valu des remarques de la part de mes professeurs. Toujours le poing levé, à rêver d’un avenir meilleur, à me battre pour mes pairs. Mes meilleures armes étaient alors mon crayon, ma bombe de peinture noire et ma voix.
L’engagement politique me vient de ma mère, qu’elle tient elle-même de ses parents. Elle nous emmena en manifestation dès notre plus jeune âge mes frères et moi, et son ouverture sur le monde et son regard critique sur la société m’ont toujours autant fascinée qu’inspirée. Ma sensibilité pour « les oubliés », ces publics laissés en marge des préoccupations politiques et culturelles notamment me vient de mon père. En tout cas, sa passion pour son travail d’éducateur spécialisé. Ma production artistique est un équilibre entre ces deux mondes : me battre et créer pour les autres.
Une chose est indispensable pour se battre, c’est de savoir pourquoi on se bat. Pour savoir pourquoi on se bat, il faut avoir les informations nécessaires pour comprendre le combat.
Je veux me battre pour ceux qui ne les ont pas et leur donner des clés pour qu’ils puissent se battre aussi. J’ai compris avec le temps que je ne pourrai jamais changer le monde seule. Mais si je suis avec les autres, si je travaille avec eux, alors ça servira à quelque chose.
Au lycée, j’étais bénévole à la banque alimentaire, plus tard j’ai travaillé avec des demandeurs d’asile, j’ai fait des interventions en lycée, en classe préparatoire. J’ai recueilli des histoires, j’ai partagé mes projets et je me suis servie des épreuves de la vie pour sensibiliser les personnes qui m’entourent.
Mes armes sont restées mon crayon et ma voix, mais une palette d’outils s’est rajoutée : le son, l’animation, l’affiche, le texte. Finalement, tout ce qui touche à la médiation.
Et à mon bagage politique – qui me faisait déjà faire des joutes orales dans la cafeteria du lycée (souvent perdue à cause de mon manque de confiance en moi) – s’est ajouté la découverte du design graphique, complétée par une dimension journalistique.
Ma posture a changé, mes idées se sont affirmées, je fais partie de ceux qui laissent la place aux gens pour s’exprimer.
Mes pas m’ont guidée sur bien des chemins, qui ont été le début de bien des rencontres qui ont changé ma vie. J’ai rencontré une palanquée de publics, d’individualités, de cultures, grâce auxquelles j’ai appris et que j’espère avoir nourries en retour.
Quand je vadrouille, j’ai toujours un équipement de base. Zéphyr, mon accordéon, est mon fidèle compagnon. De même que mon appareil photo et mon enregistreur. J’observe, je partage j’échange et je m’ouvre. Parce que s’ouvrir aux autres, c’est une porte vers d’autres mondes.
Quand je passe devant une maison, je me demande comment est la maison à l’intérieur. Quelle est la décoration ? Qui sont les habitants du lieu ? Comment vivent-ils ? Sont-ils heureux ? Quel est le dernier voyage qu’ils ont fait ? Je me demande qui sont ces gens qui m’entourent, quels sont les liens qui m’attachent à eux, qu’est ce qu’on partage, ou ne partage pas. Je m’interroge sur nos liens. En quoi ma vie aurait été différente si je n’avais pas rencontré les personnes auxquelles j’ai été confrontée ? Nos liens sociaux, nos rencontres, les expériences qui en découlent.
Tout me ramène à autrui. Quand je voyage, le rapport que j’ai aux locaux est ce qui fait qu’un voyage va me marquer ou pas.
Mais ce rapport constant aux autres est ce qui fait que je suis également très solitaire. Un besoin de prendre de la distance, de me retrouver, de souffler un moment. Des moments de suspensions qui se ressentent dans des illustrations ou dans des photos. Un besoin de faire le vide.
Affortit se traduit de l’occitan afortit qui signifie énergique et forte tête. Un nom qui fait le lien entre mon histoire familial et mon engagement politique fort.