Thierry Van Hasselt est l’un des membres fondateurs du Frémok, plateforme belge de projets d’édition de bandes dessinées. Il est éditeur, graphiste, installateur, scénographe et peintre du dimanche. C’est à ce titre, « peintre du dimanche », qu’il a exposé son travail dans la galerie de l’EESAB de Lorient, du 15 octobre au 11 décembre 2022, dans le cadre des Itinéraires graphiques. Son installation s’intitule « L’imitation de la bande dessinée ».
Sans titre
Des toiles de dimensions différentes, disposées les unes à côté des autres, ne laissant aucun espace entre elles, sont accrochées aux murs de la salle d’exposition. Dans cet ensemble de tableaux, Thierry peint son intimité. Il donne à voir en grand le corps nu, sensuel, charnel, ponctué d’éléments de nature, tels que des végétaux ou son jardin. Ce paysage mêlant l’humain dans sa simplicité et sa vulnérabilité, sans apparat, avec la nature dans sa représentation la plus épurée, accentue le ton poétique et symbolique de ces scènes d’amour.
Léna Mercher
Nouvelle quadripédique
Ce bruit fort de nourriture qui frappe le sol.
J’accours.
D’abord une aubergine, une deuxième qui la suit, des tomates, des poivrons et un radis.
Que se passe-t-il ? Quel bonheur, moi qui, d’habitude, suis privé du plaisir apporté par le jus du liquide des légumes qui s’écoule sur ma langue.
Je traverse le couloir, j’évite de marcher sur ces légumes, je suis le bruit d’objets qui tombent.
La vision des miniatures de bipèdes qui s’entremêlent sur le sol précède celle de mon amie hominienne allongée sur le lit, dans son plus simple appareil face à Thierry, également désencombré de ses couches de textiles. Il rit, elle râle, il étale des pâtes de couleurs sur une toile, elle regarde l’heure. Chaque dimanche c’est pareil.
Rémi Fradin
Texte libre
Il y avait dans ce jardin abandonné une chaise de camping qui annonçait les beaux jours. C’était une chaise de pêcheur qui était rose et que l’on avait déposée là. À l’automne, sans doute que la pluie battante sur le tissu suspendrait cette tache rose dans le jardin au-dessus d’un tas de feuilles. L’été, les lézards arpenteraient les ombres du mur pendant que les habitants feraient la sieste. Parce qu’il avait reçu ce jour-là une remise publicitaire dans sa boite aux lettres, il s’était rendu dans la zone industrielle la plus proche de cette ville pavillonnaire où ils vivaient. Il avait trouvé cette chaise et il l’avait mise dans le jardin. Cela meublerait un peu et ils pourraient y aller penser. Comme d’autres de ses petits objets qui accompagnaient la vie quotidienne, beaucoup étaient là par hasard. Un éléphant en jouet était venu compléter l’aléatoire de cette collection. À vrai dire, il avait choisi cet éléphant avec soin parce qu’un événement heureux se préparait. Le jardin sera baigné dans l’hiver lorsque la naissance aura lieu, l’éléphant n’irait pas tout de suite. Ils avaient pris la décision de garder l’enfant même si partout autour on entendait combien le monde irait mal. Les radios le hurlaient le matin, les notifications le fulminaient sur le téléphone, et lors des dîners chez leurs amis, avoir un enfant était un débat autour de la table, parce que l’intimité devait se justifier dans le déclin du monde. C’était en tout cas depuis le jour où ils avaient pris la grande décision qu’il ne restait dans le jardin que la chaise et leur absence. Personne n’y viendrait plus depuis ces longs mois d’attente.
Laura Lejuez
L’Imitation de la bande dessinée de Thierry Van Hasselt
Des tomates charnues, des formes longilignes, des légumes qui se chevauchent, des corps nus allongés ou debout, des petits jouets coquins montrant des corps dans des positions ambigus en guise de porte-clés, des objets du quotidien posés ça et là et des maisons…. Le travail en peinture de Thierry Van Hasselt n’est pas conventionnel : à travers cette série de tableaux accrochés, couvrant la quasi entièreté des quatre murs, Thierry Van Hasselt présente « L’imitation de la bande dessinée », à travers un dispositif où les plans fixes s’enchaînent un peu à la manière d’un roman graphique voire même d’un documentaire.
À l’inverse des expositions traditionnelles de peintures, ces tableaux ne sont pas séparés ou délimités d’une marge, mais présentés de sorte à ne faire qu’une pièce. Plusieurs tableaux en un. Ce dispositif permet de lire autrement son travail de peinture à l’huile. Il engage ici une forme d’écriture sans texte, en documentant un quotidien, probablement celui d’un couple hétérosexuel (évoqué par l’homme et la femme représentés nus sur certaines des toiles). La présence de certains gros plans force, en un sens, à entrer dans cette intimité, dans ce récit, qui par ailleurs est érotisé. Non pas forcément par les corps nus, pourtant très présents, mais plutôt par les objets qui métaphorisent la sexualité. Certains sont plus explicites que d’autres (une bougie en forme de pénis qui au fur et à mesure des toiles fond jusqu’à ne faire plus qu’un tas de cire liquide). Avec « L’imitation de la bande dessinée », l’artiste, à travers ses tableaux, semble offrir une nouvelle possibilité de faire de la bande dessinée en proposant des planches de peinture et un récit qui se perçoit en faisant le tour des quatre murs.
Graduellement, j’en viens à penser que ce travail développe une certaine temporalité. Chaque composition semble présenter une période différente de l’année (les quatre saisons sur les quatre murs ?) et s’applique sur la question de la conception de la vie à travers des plans oniriques.
Toutefois, ce travail n’est pas seulement un travail de peinture. Son installation prouve que, séparées, ses toiles perdraient toutes leur valeur et qu’ensemble, elles constituent un tout. En effet, le tableau en soit n’est pas très intéressant, que ce soit sur le plan esthétique et psychique. Rien ne résonne en moi si je ne me concentre que sur une toile, alors que la pièce (l’ensemble) transforme ce travail de peinture à l’huile en une sorte de reportage-peinture. Les toiles issues de ces compositions se transforment en des séries de plans de cinéma : certaines sont par ailleurs plus floues que d’autres comme le serait un photogramme pris lorsque la caméra est en mouvement.
Cette exposition m’interroge sur la frontière entre l’univers du cinéma documentaire et celle de la bande dessinée.
Manon Orsi