Moira Ali est née le 7 juin 1996 au Caire. Elle a vécu et grandi dans la capitale égyptienne jusqu’en septembre 2020. Entre septembre 2020 et juin 2022, elle a étudié à l’EESAB de Lorient dans le cadre du master « Arts Visuels pour le Journalisme ».

Tu peux nous présenter ta famille ?

Ma mère est la seule de sa fratrie à avoir fait une école francophone. Elle travaille aujourd’hui dans une école francophone. Mon père, avec l’aide de ma mère, est maintenant le patron d’une librairie française au Caire. Contrairement à ma mère, il ne parle pas français mais vend des livres, surtout des livres scolaires en français. C’est une librairie scolaire.
J’ai aussi deux petites sœurs, l’une n’a pas suivi d’études artistiques, elle étudie le business, mais mon autre sœur fait de la danse et elle va faire une école de performance.

As-tu grandi dans une ambiance francophone ?

J’ai commencé à apprendre le français à 6 ans dans une école francophone, mais l’arabe reste ma langue maternelle, celle dans laquelle je suis à l’aise. Même pendant mes cours de français, l’arabe était très présent pour mieux comprendre les consignes. Et nous parlions arabe dans notre appartement. Nous vivions dans le quartier Heliopolis au Caire.

Après cette école francophone, quel a été ton parcours scolaire ?

J’ai passé mon Bac égyptien dans la section Lettre, puis je suis restée cinq ans à l’université allemande du Caire : un an de prépa, trois ans de bachelor, et une année de pré-master. J’étais dans la section « arts appliqués ». J’ai intégré le master « Arts Visuels pour le Journalisme » en France, à Lorient en septembre 2020.

Pourquoi avoir choisi des études d’art ?

Le 25 janvier 2011 marque le début des manifestations qui deviendront la Révolution égyptienne. J’étais encore dans mes études générales, j’avais 15 ans. Et donc entre 2011 et 2012, j’ai vu beaucoup de graffitis au Caire liés à la Révolution. J’ai aimé cette volonté de s’exprimer sur notre société par le dessin et l’image. J’ai commencé à faire des dessins plus engagés, ainsi que des graffitis. Encore aujourd’hui, j’aime parler de la vraie vie en Égypte et dénoncer comme je peux les problèmes. J’aime surtout travailler avec le dessin, j’essaye de faire de la bande-dessinée.

Les problèmes de société, est-ce ton sujet de prédilection ?

Oui, pendant mes années d’études au Caire, j’ai travaillé sur le féminisme, à travers plusieurs points de vue, y compris celui des hommes. J’aime aussi documenter par l’image la vie en Égypte : j’ai fait des illustrations sur les problèmes de société dans The bussy project, et peu avant de partir pour Lorient, j’ai publié le magazine Cairo covid avec d’autres artistes et écrivains. C’est un magazine papier qui raconte comment la pandémie a été gérée au Caire.

N’as-tu pas peur de dénoncer les problèmes de société en Égypte ?

J’ai peur bien sûr de la manière dont mon travail va être perçu quand je vais retourner au Caire, mais je veux continuer cette démarche évidemment. Après mon diplôme, j’aimerai continuer à travailler dans le milieu culturel au Caire, et continuer à être engagée, mais dans l’art car c’est moins dangereux que la politique ! Je n’ai pas connu un niveau de répression et de violence tel qu’il me donnerait envie de fuir l’Égypte comme certains de mes amis. Pour l’instant, je suis encore attachée à la vie en Egypte. Pourtant j’ai déjà eu de mauvaises expériences avec la police.

As-tu des anecdotes avec la police égyptienne à nous raconter ?

Oui, je peux en évoquer deux ! Lors d’une manifestation contre le harcèlement au Caire à laquelle je participais, on trouvait avec une amie qu’il y avait beaucoup trop de police pour une manifestation pacifiste. Cela nous a énervées alors nous avons écrit sur une pancarte « la police m’a harcelée ». Mais quand je l’ai brandie, tous les journalistes et policiers se sont regroupés autour de moi et une femme policière voulait m’obliger à aller au commissariat pour selon elle « déposer plainte », mais je savais que j’aurais pu aller en prison alors j’ai refusé et dans l’agitation et les caméras tout autour, une amie a réussi à me tirer dans la foule et j’ai pu échapper à la police.
Une autre anecdote concerne mon dernier projet au Caire avant de venir à Lorient, le magazine Cairo Covid. La police est entrée au centre culturel où il était mis en vente pour contrôler le contenu du magazine et vérifier qu’il n’était pas trop critique envers la gestion de la pandémie. La police a porté plainte contre le centre culturel, mais ça s’est bien terminé. Depuis le centre a pu le vendre à nouveau.

Quel est ton rêve ?

Mon rêve c’est que la vie s’améliore en Égypte. Aujourd’hui, les jeunes du Caire s’amusent à dire que c’était mieux au temps de Moubarak. Il faisait comme s’il n’écoutait pas et nous laissait nous exprimer. Le nouveau président Sissi, lui, il a peur de la liberté d’expression. J’aimerais qu’un gouvernement démocratique puisse travailler pour le peuple et pas contre le peuple, et qu’il n’ait pas peur de la liberté d’expression. Comme ça, je pourrais avoir une vie plus paisible et plus libre en Égypte. J’aimerais être une femme indépendante au Caire.

Autoportrait extrait de la bande dessinée de Moira Ali L’Orient Lorient, 2022. ©Moira Ali