
Montbellet – 26 octobre 2024
J’ai rencontré le collectif LEVAINS à la suite d’un stage réalisé avec Marie Preston fin septembre 2024. J’avais découvert le travail de cette artiste lors de la rédaction de mon mémoire intitulé Créer en Anthropocène, enjeux artistiques et politiques, par l’intermédiaire de Marie Bouts qui accompagnait ce mémoire. Dans ce texte, j’aborde le collectif comme moyen de créer du commun, indispensable selon moi à l’heure de l’Anthropocène, c’est-à-dire la destruction généralisée du vivant. Marie Preston est une artiste et enseignante-chercheuse à l’université Paris 8. Sa démarche s’engage justement dans une forme de recherche-création qui prend appui sur des processus de pratiques participatives, de cocréation avec des individus a priori non-artistes. Je ressentais le besoin de mieux comprendre la cocréation et de définir la place que je pourrais prendre dans ce cadre. La cocréation implique des modalités de création sur le temps long pour permettre de développer des formes qui sont des documents d’expérience favorisant la coopération et co-éducation. La cocréation se forme avec des personnes d’horizons différents sur un ou plusieurs sujets qui rassemblent. Marie Preston a écrit et/ou participé à plusieurs ouvrages dont Inventer l’école, penser la co-création (CAC Brétigny et Tombolo Presses, 2021), et Cocréation (CAC Brétigny et Editions empire, 2019).
Le projet LEVAINS a débuté en janvier 2024 avec une phase émergente, c’est-à-dire de rédaction du projet de recherche, débuté 2-3 ans auparavant. Le projet LEVAINS s’organise dans trois régions : la Bretagne, l’Occitanie et l’Auvergne-Rhône-Alpes. Des rencontres régionales sont organisées, ainsi que des temps interrégionaux pour faire du commun, c’est-à-dire travailler ensemble, faire le point sur les expérimentations, sur la recherche et produire des formes, et avancer plus amplement sur le projet. Ce projet compte plusieurs axes : la recherche et l’analyse biologique des levains, le questionnement sur la notion de terroir, la construction d’un réseau autour du levain et un axe sur la cocréation. Par ma part, j’ai rejoint le collectif en octobre 2024. En voici mon récit.
-> 26 et 27 octobre 2024
Rencontre régionale à Montbellet
Fin octobre, je me suis retrouvé chez Cécile Dubart à la ferme du Moulin des Essarts qui se situe à Montbellet en Saône-et-Loire. Cécile Dubart est paysanne-boulangère. Cette rencontre regroupait une quinzaine de participants issus de la région Auvergne-Rhône-Alpes.
Lors de ce week-end, nous avons échangé collectivement sur les expérimentations réalisées et sur le pot à levain idéal (objet servant à mettre le levain) dans l’optique de dégager une forme de pot qui puisse convenir à un maximum de participants. Les pots fabriqués par les participants lors d’une prochaine rencontre serviront à mener de nouvelles expériences microbiologiques et à voir si la composition du levain se trouve modifiée par le récipient. Marie Preston avait imprimé des images de pots, antiques, et pas seulement, pour donner des idées à toutes et tous. À partir de cela, des petits groupes ont été constitués de 4-5 personnes pour échanger plus facilement et dessiner le pot idéal. Les participants étaient invités à fermer les yeux pour imaginer la taille idéale. Après ce moment, nous avons mis en commun les discussions. Puis, nous avons réalisé des empreintes sur de la terre autodurcissante. Le but était que les expérimentateurs puissent avoir un premier contact avec la matière. Les empreintes étaient, notamment, réalisées avec des éléments venus des alentours du fournil de Cécile Dubart.
Cette mise en commun d’expériences, de savoirs est précieuse pour recréer du lien entre les individus. Le levain est ici l’élément unificateur de personnes d’horizon divers. En se mettant ensemble, ils avancent vers des objectifs identiques. Ce premier week-end m’a conforté dans l’idée que la cocréation est primordiale pour répondre à la crise sociale et écologique que nous vivons.
Les premiers instants, j’étais focalisé sur le rôle de chacun, à m’insérer dans les groupes pour échanger et poser des questions pour mieux comprendre là où j’arrivais et créer mes propres liens avec les autres participants.
-> 25 au 29 novembre 2024
Résidence 47.2 à Cosne-sur-Loire
Marie Preston est invitée pour trois semaines dans l’année à la résidence 47.2 par Clara, une artiste-sculptrice membre de l’association gérant le lieu. 47.2 est un atelier d’artiste.
Durant cette semaine plusieurs enjeux se présentaient à nous : réfléchir autour des images et documents réalisés pendant les expérimentations des participants, concevoir une capsule sonore à partir des enregistrements que j’ai réalisés le 27 octobre dernier, réaliser un prototype de pot à levain et un moule pour le reproduire et enfin, préparer la rencontre de janvier. Je me suis alors engagé dans la réalisation de la capsule sonore et j’ai participé à la réflexion sur les images, les documents, ainsi que proposé des idées pour la rencontre de janvier (notamment sur comment organiser l’espace lors de la résidence). La capsule sonore m’a pris beaucoup de temps. C’était la première fois que j’en réalisais une. Ce montage dure 20 minutes et est composé de deux parties : un retour sur les expérimentations des participants, puis une présentation des fournils.

Levains, rencontres et expérimentations, 20 min et 24 secondes
Ce deuxième temps m’a permis de prendre du recul sur la cocréation et de voir que ce n’était pas exactement comme je l’avais imaginé. Au départ, quand j’ai commencé à me renseigner, à lire sur la cocréation, j’imaginais quelque chose de plus rigide. Qu’il fallait toujours avoir une implication identique, ou relativement de toutes et tous. C’était un élément qui me restreignait dans mon implication avant LEVAINS. Au fur et à mesure de la semaine et des échanges avec Marie Preston, il est apparu évident qu’il y a plusieurs formes de création collective, avec des degrés d’implication différents des individus.
13 au 19 janvier 2025
Rencontre nationale : à Cosne-sur-Loire, Boncourt et la Ferme d’Orvilliers

Cosne-sur-Loire, Résidence 47.2 – 16 janvier 2025
Du lundi au mercredi 17h
Nous n’étions que tous les deux avec Marie Preston. Nous nous sommes occupés d’organiser le reste de la semaine : faire les courses, préparer l’espace pour le travail en groupe, réaliser des tampons (pour tamponner des éléments graphiques) pour la ligne du temps et retranscrire des entretiens. Lors de notre précédente rencontre, nous avions discuté du fait que je mène un dessein de cocréation autour d’une affiche intégrant un poème de Bernard Onno, biologiste investi dans le projet. Dès lors, j’ai réfléchi à comment aborder cela avec les participants.
De mercredi 17h au vendredi midi
Jusqu’au vendredi nous étions avec Marie, Axel, Delphine, Julie et Laurianne (l’équipe qui anime le projet LEVAINS) et Mary et Stéphane (boulangers, tout comme Julie). Nous avions plusieurs objectifs à mener dont le fait de fabriquer les pots à levain, réfléchir à l’animation du week-end et réaliser des lignes du temps. Les lignes du temps nous ont beaucoup occupés. Il fallait concevoir une forme transportable permettant de retracer l’histoire dans laquelle s’inscrit le projet LEVAINS. Sur ces lignes, nous avons défini les dates importantes qui se relient au projet.
À l’aide des moules réalisées en novembre, les participants présents ont réalisé les pots à levain ainsi que les empreintes figurant dessus. Marie Preston et moi les avons accompagnés dans la technique de la terre. L’idée est de faire et de ne pas rester en retrait. La cocréation implique un engagement réel qui va au-delà de l’observation ou du coup de main ponctuel. Ce qui était complexe pour moi est que je ne connaissais pas l’histoire du projet LEVAINS et que je n’ai pas de fournil. Il m’était difficile de participer activement. Le projet LEVAINS est dense et s’inscrit dans une longue histoire. Il ne m’est pas facile de tout comprendre. En plus, de nombreuses personnes jouent un rôle important si bien que les noms et les visages m’échappent de temps en temps. J’ai quand même pu prendre part à la réalisation de tampons en gomme/lino pour faire des impressions sur le drap blanc.
Je me rends compte progressivement des spécificités de la cocréation. Comment se situer dans un collectif, prendre une place juste ? Comment rejoindre un projet en cours ? Faire connaissance avec toutes et tous, se souvenir des visages et des noms ? Comment vivre et faire ensemble ?
Énormément de questions me traversent et en même temps, ce stage et les moments que nous vivons renforcent ma certitude qu’il faut continuer d’explorer les manières de faire ensemble, de créer ensemble. Il faut réussir à reprendre pied dans ce monde et saisir ce qui doit l’être pour faire advenir d’autres possibles en dehors du tout marchand et de la compétition permanente.
Nous avons manqué de temps pour faire l’affiche qui n’était pas une priorité mais j’ai quand même pu y réfléchir avec Stéphane. J’ai quand même pu avancer avec Stéphane. À deux, nous avons réfléchi à une forme. J’avais imprimé le poème et les coupes microscopiques, c’est-à-dire une image du levain au microscope, réalisées par Bernard Onno il y a quelques années. À partir de ces impressions, nous avons composé un prototype. Puis, seul, j’ai recréé notre prototype à l’ordinateur en proposant plusieurs versions. Ce qui était difficile dans cette démarche avec Stéphane, c’est qu’il était en demande d’idées et moi j’essayais de ne pas trop proposer pour être dans un échange et ne pas prendre toute la place.
De vendredi soir au samedi, nous étions à Boncourt
Plusieurs acteurs du projet LEVAINS se sont rassemblés dans un gîte communal pour réaliser un récit collectif de ce projet destiné à être édité dans un ouvrage portant sur la recherche participative autour du levain. Des moments ont été organisés pour entrer dans la dynamique de coconstruction de l’ouvrage et du récit. Mon implication était restreinte, mais j’ai réalisé des photographies de ce moment.
Dans le même mouvement, les lignes du temps matérialisées se sont enrichies d’éléments, de dates, d’anecdotes.
Du samedi au dimanche, nous étions à la ferme d’Orvilliers à la Bourette, dans le fournil d’Hélène Chaudy
Un dernier temps collectif nous a permis de réfléchir à la manière d’accompagner et promouvoir l’évolution des formations à la boulange au levain. Il s’agit de réfléchir à la transmission (axe passeur dans ce projet). A plusieurs, en groupe, nous avons dégagé des angles de travail pour les temps à venir : comme le fait de rédiger un manifeste assumé sur le projet de société porté par le pain au levain au nom du collectif que l’on représente, de réaliser un kit pédagogique sur le pain au levain et ses bienfaits, de construire un outil (association, ou syndicat) pour échanger et soutenir les praticiens de la boulangerie au levain, ou d’influencer sur les formations boulangères.

Ferme d’Orvilliers à la Bourette – 18 janvier 2025
Cette semaine m’a permis de mieux comprendre le projet, son histoire et les enjeux notamment politiques. En participant aux discussions, des possibilités liées au projet ont commencé à émerger dans mon esprit. Cependant, je sentais qu’il me fallait encore quelque temps pour bien définir ma position au sein du projet avant de pouvoir m’investir pleinement. Il me fallait encore comprendre.
-> 10 février 2025
Molac en Bretagne, chez Julie
Nous nous sommes retrouvés chez Julie avec plusieurs participants au projet LEVAINS de la région Bretagne. Plus précisément avec Julie, Alice, Laure et Erwan. Le but de cette rencontre était de poursuivre la fabrication de pot pour le levain avec celle et ceux qui n’avaient pas pu en réaliser en janvier. Ce moment-là était le premier où je me retrouvais sans Marie Preston. C’était l’occasion de m’investir de manière nouvelle et de prendre une place différente. Je m’étais donné pour objectif de continuer le travail sur l’affiche entamée en janvier.
Durant cette journée, plusieurs pots à levain ont été réalisés et dessus les expérimentateurs sont venus apposer des empreintes réalisées avec des éléments se trouvant autour de leur fournil (des fleurs, des graines, du bois, etc.). Nous avons également avancé sur l’affiche du poème de Bernard Onno. Dans les jours qui ont suivi, nous avons continué à échanger sur cette affiche par mail avec lui et toutes les personnes impliquées dans la réalisation de l’affiche.

Affiche – Magie du Levain
Ces rencontres étaient également l’occasion d’apprendre à connaître davantage les autres personnes. Cela me semblait particulièrement indispensable pour pouvoir m’investir dans le groupe et pour peut-être développer plus tard des formes communes.
Dans l’après-midi nous avons réalisé une balade. Ceci a permis d’aller voir les champs de blé de Julie. C’est elle qui nous accueille. Elle fait partie de l’association Triptolème dédiée au pain au levain et des semences paysannes. L’association projette de construire un four mobile pour l’association avec l’idée de pouvoir organiser des événements et promouvoir les semences de pays. C’est-à-dire, des semences qui ne sont pas la propriété de l’agro-industrie, aujourd’hui les semences de pays sont quasiment inexistantes.
Ce temps était vraiment important pour découvrir le projet sous un autre angle et nous laisser le temps de la discussion. Même si je commence à saisir l’ampleur et à trouver mes repères, il me faut encore du temps pour trouver comment m’impliquer particulièrement dans ce projet. Cela passe par l’apprentissage de la fabrique du pain, il me semble un peu absurde d’être investi dans ce projet et de ne pas savoir faire du pain, ne pas connaître les mouvements, les gestes.
Rejoindre un groupe formalisé depuis début 2024 au sein duquel les liens se sont construits pendant plusieurs années n’est pas évidents. Il faut y aller en douceur, apprendre à connaître, savoir être en retrait aux bons moments, comprendre le rôle de chacun. Au fur et à mesure se dessinent des perspectives, des envies de poursuivre. C’est d’ailleurs ce à quoi je m’emploie. Mon stage est terminé, pour autant je continue de m’impliquer dans ce projet. Le collectif est enthousiasmant et je commence à distinguer davantage de possibles, je commence à trouver une place. C’est un échange permanent.