Dans le cadre des 25e rencontres photographiques, Emmanuel Madec présentait une exposition intitulée « Où vont les images ? » à la galerie de l’EESAB de Lorient.
Emmanuel Madec, le chasseur d’images
J’entre dans la salle : des cadres.
Des cadres à perte de vue.
Le chasseur d’images est passé par là, et je suis certaine que si je me rapproche, il apparaîtra de nouveau. J’avance, je rase les murs avec les yeux.
Des papillons.
Je vois des papillons emprisonnés.
Dans cette pièce, le chasseur a réuni plusieurs espèces que je ne reconnais pas.
Ils ne volent pas, ils ont étés capturés.
Et ils ne seront jamais relâchés.
Ces bestioles sont devenues prisonnières du temps, c’est ce qu’indiquent certaines légendes : « Des réfugiés syriens devant des portraits d’Atatürk et d’Erdogan (sud de la Turquie), le 16 mars. Mercredi 27 Juillet 2016 » ; « Un ours polaire teste la solidité de la glace, dans l’Arctique, en 2016. Vendredi 30 décembre 2016. »
Attendez !
Ce sont des morceaux de têtes que je vois là ?
Des mains, des pieds, du bois, de la taule, du feu, une explosion ?
Les murs sont recouverts de fragiles ailes, enfermées dans des boîtes, séparées par les grands piliers au milieu de la pièce.
Je me perds dans ce bestiaire lépidoptériste, je me perds dans mes pensées, les images alors se dessinent dans mon esprit, se matérialisent.
Je tombe sur l’espèce la plus classique, un papillon des champs.
À côté, un papillon migrant, un papillon de flammes, un papillon building.
Au fond de la pièce, je suis happée par cette image sur laquelle est posé un papillon énorme, endormi au creux d’une main géante.
Plus je regarde cette image, plus je me rends compte qu’il est prisonnier de la main, qui est elle-même prisonnière du cadre.
Le chasseur a ainsi laissé traîner ses papiers, et nous a donné des informations sur sa méthode de travail.
Il les capture, les plie, les épingle, les encadre.
C’est un chasseur-collectionneur, explorateur de journaux, à la recherche d’une poétisation du monde.
Anaïs Lelay
Papillons, images et actualités
« Où vont les images ? » d’Emmanuel Madec est une exposition pleine d’ambivalences. 300 papillons en kirigami, une forme japonaise de découpage qui tend à sublimer le papier, sont présentés tels une collection de lépidopteriste.
Chaque papillon est composé d’une photo issue d’un journal, que l’artiste considère particulièrement violente.
Cloué dans sa boîte entomologique, chaque papillon est accompagné de la légende de la photo issue de ce journal.
En imitant le geste du collectionneur, l’artiste apporte une critique sur la place de la photographie dans notre mémoire commune à l’ère contemporaine, une ère où le flux continu d’informations fragilise la pérennité de cette mémoire.
Le symbole est percutant, le papillon, dans la finesse du papier journal, incarne cette fragilité qu’il faut protéger de la disparition.
Dans un premier temps, cette critique est pertinente, seulement, dans un second temps, on peut se demander pourquoi l’artiste ne nous propose pas plus de compréhension sur sa sélection d’images, au-delà du choix de la violence. On observe, dans la mouvance du photo-reportage actuel, une certaine esthétisation de la violence qui semble également se retrouver en art contemporain. L’artiste, a-t-il voulu critiquer cette esthétisation ou bien y participe-t-il en rendant inaccessible la palpabilité de ces images. Derrière ces papillons, ce sont des moments vécus par des personnes, l’accrochage linéaire et systématique ne nous invite pas à comprendre chaque événement. Au début, on veut voir, on cherche, mais très vite on prend moins le temps de s’arrêter, on ne lit que la légende, on reproduit notre façon de lire les informations des réseaux sociaux. Ne devrions-nous pas, pour contribuer à la pérennisation de la mémoire commune, impliquer plus activement le spectateur dans sa lecture des images ? À changer la matérialité d’une image documentaire, en lui faisant perdre sa singularité et sa lisibilité, ne risquons-nous pas de manquer d’empathie envers les situations vécues par les personnes photographiées ?
Rémi Fradin