Fin de matinée du 14 juillet, je me promène sur l’esplanade Charles de Gaulle face à la sortie de la gare de RER Nanterre préfecture. Appareil photo en main, après avoir passé la matinée à photographier les foules sur les Champs Élysées, je traverse le marché installé sur la place devant les escalators de la gare. Derrière lui, les premiers cubes en verre de l’installation de Dani Karavan apparaissent, les graffitis aussi, il y a un grand soleil. Cette installation est un monument aux victimes de la déportation.
Présente dès la sortie du RER, il me semble que personne ne comprend réellement le sens de cette installation, elle est devenue un élément de voirie, d’aménagement urbain plutôt qu’une œuvre d’art.
Des graffitis sont inscrits sur chaque face des 10 cubes qui composent l’installation, sur toutes les faces de la structure centrale et sur les 6 poteaux en arrière-plan.
On peut y lire « Justice pour Nahel », et beaucoup d’autres slogans relatifs à la mort de ce jeune Nanterrien, tué par la balle d’un policier. Je m’arrête devant chacun, je le photographie. Je n’ai pu être présent dans les soulèvements populaires en île de France, je n’ai pu assister à la marche blanche durant laquelle la plupart de ces graffitis ont été réalisés. Je veux témoigner, je veux contribuer à diffuser ces cris écrits, je veux les immortaliser. Ces mots varient sensiblement, graphiquement, mais ils nous disent tous la même chose : ne détournez pas le regard du sujet, écoutez nous.
Contrairement aux contenus télévisés et proposés par les algorithmes des réseaux sociaux, les graffitis s’affranchissent de tout contrôle idéologique si ce n’est celui d’être effacé ou recouvert. L’espace public nous étant commun à tous, la force du graffiti réside dans sa force à se jouer d’un de nos principaux sens, la vue.
On passe devant, on voit, on s’arrête, on regarde, peu importe notre réceptivité, on ne peut y échapper. L’œuvre de Dani Karavan semble être devenue un sanctuaire le temps de 2 mois, avant que les graffitis ne soient effacés. Il nous rappelle les événements qui ont traversé la France durant 8 jours, chaque cube est comme une stèle qui rend hommage à Nahel et aux victimes de violences policières.
Pourtant, ces actes paraissent spontanés, je ne crois pas que leurs auteur.ices aient connaissance du sens originel de l’installation et qu’iels n’aient tenté un quelconque parallèle entre la mort de Nahel dans un contexte de montée de l’extrême droite en France, et dans le monde, et de la mémoire faite aux victimes de la déportation du régime nazi.
Contrairement aux graffitis réalisés sur l’Arc de Triomphe durant l’« acte III » des Gilets jaunes, à Paris le 1er décembre 2018, la prise de conscience symbolique de l’acte à Nanterre n’est pas la même, pourtant le geste ne diffère pas tant. Les réactions sont peut-être les mêmes, à Paris toute l’opinion s’est indignée de la dégradation d’un monument National, pendant des semaines l’Arc de Triomphe est revenu sur le devant de la scène, comme lorsqu’il fût recouvert par Christo et Jeanne-Claude en 2021.1
Jamais, avant d’écrire ce texte, je n’avais pris le temps de connaître le sens et l’auteur de l’installation de l’esplanade Charles de Gaulle à Nanterre. En plus de dénoncer publiquement les violences policières, est-ce que les graffitis ne permettent pas la mise en lumière d’une œuvre totalement fondue dans le champ visuel du quotidien et de questionner la valeur d’un monument ?
- « Cet empaquetage est une manière de souligner le quotidien autrement. C’est une manière d’arrêter le regard, créer un temps suspendu. » – Anaël Pigeat – Erner, G., Piel, É., & Demeyère, V. (2021, Septembre 14). L’Arc de Triomphe de Christo : pourquoi empaqueter des monuments ? France Culture. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/la-question-du-jour/l-arc-de-triomphe-de-christo-pourquoi-empaqueter-des-monuments-5865210 ↩︎
Photographies réalisées par Rémi Fradin