« La question du devenir de nos ordures ménagères est légère, dans le sens où aucune vie n’est en jeu, aucune mort, mais elle est symptomatique de l’aveuglement volontaire dans lequel nous vivons. Si le désastre écologique associé à notre consommation effrénée est préoccupant, s’il semble désormais évident qu’aucun geste ne « sauvera la planète », sinon un geste révolutionnaire et un changement radical de nos modes de production, ce qui me frappe surtout, c’est l’enclave mentale que nous nous construisons, l’illusion d’une ville propre, d’où disparaissent comme par magie tous les déchets, toutes les salissures. »

Freshkills : Recycler la Terre, Lucie Taïeb, La Contre Allée, 2020



C’est à Lorient que cette réflexion commence. Fraîchement arrivée de la banlieue parisienne, ou de la Roumanie, pays qui n’a pas la question des déchets à l’ordre du jour, je découvre avec intérêt le système des poubelles lorientais. Je retrouve dans la cour de mon immeuble trois poubelles, les deux que je connais, la jaune et la bleu, et la nouvelle, la verte, celle des biodéchets, privilège que je pensais réservé aux heureux propriétaires de jardin. Assez satisfaite de cette découverte, je me suis empressée d’apprivoiser ce nouveau système. D’abord, il m’a fallu récupérer les bons sacs poubelle ; la première fois, j’avais jeté mes trognons, pelure et coquille d’œuf dans un sac noir opaque qui avait beaucoup contrasté avec le reste des sacs dans la poubelle. Je me suis sentie coupable, espérant que les éboueur·euse·s me pardonneraient ce faux départ.

Les sacs compostables acquis, la question des cheveux s’est posée. Dans quelles poubelles fallait-il les jeter ?

J’écris « quelle poubelle pour les cheveux ? » dans ma barre de recherche et je parcours les différents sites. On me décrit plusieurs fois des solutions et initiatives pour les cheveux coupés dans les salons de coiffure, la création de perruques1, ou encore la fabrication de boudins contre les hydrocarbures2. Mais qu’en est-il des centaines de cheveux que l’on perd quotidiennement et que l’on retrouve dans tous les recoins de nos logements? Je me vois assez mal me présenter à un salon de coiffure avec ma brosse à cheveux en main. Je commence à accumuler mes cheveux dans un coin de ma douche, ne sachant pas quoi faire d’eux.

Je continue mes recherches, lis le livre de Lucie Taïb, Freskills3 , où elle parle de la gestion des déchets en étudiant le cas de l’île de Staten Island à New York, anciennement décharge à ciel ouvert, aujourd’hui transformée en parc. Elle évoque aussi les cheveux.

« Je pense aux cheveux brillants, ondulés quand ils sont trop raides et lissés quand ils sont crépus […], nos ongles. Je ne pense ni aux visages, aux sourires, mais à ces problèmes qu’il faut résoudre : les ongles, les cheveux, la peau – comme s’il n’y avait personne dedans, personne derrière. »

Les cheveux, un problème à résoudre.
Mon problème sans solution.

J’interroge mon entourage, personne ne sait, ne me donne de solution. On me parle de jeter les cheveux dehors, qu’ils se décomposeront, mais on me dit qu’on retrouve des cheveux dans des cercueils des milliers d’années après4. On me dit de les jeter dehors pour les oiseaux, mais je lis une étude qui corrobore les amputations des pattes de pigeon avec les cheveux5. Je continue mes recherches. Au fur et à mesure de mes découvertes, les cheveux me passionnent de plus en plus, j’oublie mon objectif. En plus des hydrocarbures, on s’en sert comme engrais ou pour l’isolation thermique. Je lis des articles sur des start-up qui les utilisent pour renforcer le béton, créer des paillages6, faire des recherches pour des soins de peau.

Je tombe sur cette étude7 qui semble alors répondre à toutes mes interrogations. Ankush Gupta liste toutes, ou presque toutes, les utilisations et réutilisations des cheveux dans un tableau. J’ai l’impression d’être arrivée au bout (ou du moins pour le moment), je me sens satisfaite.

Je ne sais toujours pas où jeter les cheveux, qui s’accumulent dans mon bac de douche. J’appelle la mairie, le service de revalorisation des déchets pour avoir une réponse. Je demande en bafouillant où je dois jeter mes cheveux, la personne me répond sans hésitation « Poubelle bleue, déchets non recyclables le temps de décomposition du cheveux est trop long pour les biodéchets», « Si vous faites votre compost vous même c’est possible de mettre vos cheveux c’est juste trop long pour les circuits de revalorisation de la ville.»

Je me dis que je vais les donner aux oiseaux, faire des boulettes pour qu’ils n’y risquent pas leurs pattes.

Photographies réalisées par Lou-Anne Oléron

1 Association Solid’hair https://association-solidhair.fr/ ou Fake Hair Don’t Care https://fakehairdontcare.fr/ – site internet consultés en décembre 2023.
2 Association Coiffeurs justes https://coiffeurs-justes.com/ ou Capillum https://www.capillum.fr/ – site internet consultés en décembre 2023.
3 Lucie Taïeb – « Freshkills : Recycler la Terre » – La Contre Allée – novembre 2020.
4 j’ai appris plus tard qu’un cheveux dans un milieu scellé ne se décompose pas à la même vitesse que dans la nature. La décomposition d’un cheveux dans un tas de compost est en moyenne de deux ans.
5 Frédéric Jiguet, Linda Sunnen, Anne-Caroline Prévot, Karine Princé, « Urban pigeons losing toes due to human activities »,
Biological Conservation,Volume 240,2019, https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0006320719306901# – consulté en novembre 2023.
6 Association Capillum.
7 Ankush Gupta, « Human Hair “Waste” and Its Utilization: Gaps and Possibilities », Journal of Waste Management, vol. 2014, Article ID 498018, 17 pages, 2014 https://www.hindawi.com/journals/jwm/2014/498018/ – consulté en novembre 2023.