Journal de balade de Kervénanec, Lorient.
Je me suis baladée dans le quartier de Kervénanec pendant plus d’un an entre septembre 2020 et avril 2022.
Je prenais souvent le même point de départ, rue Gaston Le Lain. Je ne planifiais pas mes balades, elles me venaient comme des envies. J’entrais dans le centre commercial côté est, suivais une voix, un son qui résonnait dans le zoom et flânais comme ça pendant 1 heure, 2 parfois 3 heures.
J’y ai pris mes habitudes. Je suis passée d’un corps étranger à un visage familier pour les quelques habitants qui me reconnaissent. Néanmoins, les seuls échanges que j’ai dans le quartier s’arrêtent à la caissière du Netto, si l’on exclut quelques regards complices avec les enfants du quartier.
Au départ, je voulais simplement explorer ce lieu qui me semblait étrangement familier. Ensuite, j’ai voulu gardé des traces des espaces que je parcourrais. Il me semblait faire comme les enfants qui remplissent leurs poches de coquillages une fois à la plage. J’emportais au fur et à mesure de ces balades un bout de Kervénanec avec moi.
Je n’aime pas les images de banlieue. Entre l’émerveillement des projets associatifs et l’abondance des images de délinquance, j’ai choisi de ne pas produire d’images. J’opte pour le bruit et les voix, bien plus subjectives et proches du réel pour moi.
J’ai donc enregistré la plupart de mes balades. Entre les voitures qui passent, les cris, les rires, le chant des oiseaux, le vent et le frottement de mes pas. C’est Kervénanec perçu de mes oreilles qu’on écoute.
Au départ, je classais chaque enregistrement méticuleusement..
B01. 20.10.20
B02. 03.11.20
B03. 21.11.20
B04. 23.01.21
…
jusqu’à en perdre le fil.
Durant ces balades où pendant la réécoute des enregistrements, je me demandais parfois ce que je faisais là. Qui se balade dans un quartier autre que le sien ? Avant Kervénanec, certainement pas moi. J’ai toujours eu la crainte que mon travail, lié à la vie sociale d’une partie minoritaire de la population, devienne un objet du regard condescendant et bourgeois du monde de l’art auquel je le destine. C’est pourquoi je m’interroge toujours sur ma légitimité.
En quoi la ressemblance de Kervénanec avec le quartier de mon enfance (Les Bâtes, 28) justifie-t-elle mon travail là-bas ? Est-ce que, d’une certaine manière, je ne suis pas dans une forme d’exploitation de la misère sociale ?
L’idée ici n’est pas d’y répondre mais d’exposer mon cheminement et les problématiques qui me traversent. Il me paraît de plus en plus clair que pour construire un projet artistique dans un quartier comme Kervénanec, il faut se poser la question de la légitimité, ou pour le dire autrement, se demander d’où on parle.
Pour en savoir plus -> https://rahmabaradji.com/Ici-est-la